16.8.06

Bonnie and Clyde (opus 4).

(Ecartez les enfants du poste, voulez-vous ?)



..........B.O. : My sweet lovin' man, by Robert Nighthawk (1948)
..................................................................................................... ....................................................................................................
Moi lorsque j'ai connu Clyde, autrefois
c'était un gars loyal, honnête et droit..
(Bonnie Parker)..............

Four.
A l'hôtel ce soir-là, Bonnie et moi on a fait l'amour comme jamais. La porte à peine refermée derrière nous, j'ai fait couler la douche la plus chaude de toute ma putain d'existence, les robinets pleins gaz et les tuyaux brûlants, et on est restés dessous facilement plus d'une heure ; ce n'est qu'en sortant de bain de vapeur qu'on a pensé à se déshabiller. Alors, je l'ai étendue sur le lit, de l'eau partout sur la moquette, de mes dents son tee-shirt et la fermeture Eclair, de mes dents encore la pointe de ses seins et son cou translucide, de mes dents toujours son sexe doux comme du gazon.

Elle, elle savait ces endroits ces caresses, elle, elle savait ce qui fait défaillir et ce qui fait trembler ; elle, elle savait tout. La lumière à peine éteinte elle s'est endormie dans mes bras, évidemment plus rien n'était comme avant mais que voulez-vous qu'on y fasse ? Le lendemain, on s'est levé vers midi, et cette fameuse photo trônait à la première page des journaux.

Alors, ça s'est passé comme ça : je sortais des tranches de jambon et du gentil sourire de la bouchère avec l'envie folle de retourner m'allonger au plus vite quand c'est arrivé. D'accord, je portais le même blouson fatigué que la veille. Mais dîtes : je pouvais deviner, moi, qu'ils allaient me reconnaître aussi facilement ?

Dès que j'ai posé un pas dans la boutique, le silence en a enveloppé les murs comme un linceul. Tous, ils se sont mis à me regarder, comme si j'étais un animal étrange, une star de cinéma. J'ai aperçu le trait rouge, DES ASSASSINS EN FUITE écrit en majuscules grosses comme ça, ma sale tronche et le visage de Bonnie, et moi qui ne lit jamais le journal, ça m'a fait tout drôle de me retrouver dedans. Autour du patron et de ça ils avaient tous la bouche bée, quinze personnes au moins, flopée de petites vieilles en manteaux, femme enceinte, quelques gosses et deux ou trois types au regard vide, enfin, la clientèle habituelle d'une boulangerie à la sortie de la messe, vous connaissez. Je les ai tous observés à mon tour, un à un, personne n'osait bouger un cil et moi encore moins qu'eux, je ne connais pas un imbécile qui aurait plus souri que moi. En face, il y avait ceux qui fermaient les yeux, ceux qui les détournaient et ceux qui souriaient, ça donnait une atmosphère étrange, irréelle. J'ai tourné les talons au bout d'un temps qui m'a semblé infini, et là j'ai su que j'étais maudit, hep il a fait, prenez n'importe quelle série américaine, n'importe quel film et le héros parvient toujours à se tirer de ce genre de situation — hep il a refait, et quand je me suis retourné, le boulanger avait toujours la moustache qui lui barrait le visage mais cette fois, c'est un fusil qu'il avait dans les mains.
– Pas de panique, j’ai dit. Je vais tout vous expliquer.
– Espèce de fumier, il a marmonné.
– Vous vous trompez, j'ai fait.
– Ha ouais ?

C'est à ce moment-là que j'ai tenté le tout pour le tout. Au point où j'en étais, n'est-ce pas ? D'un geste ample, presque aérien, j'ai fait tournoyer mon sac plastique par dessus son étal et je lui ai envoyé mes tranches de jambon à la figure.

Remarquez, ce n'est pas tellement le jambon qui lui a fait mal : c'est surtout le pot de cornichons. Il a explosé sur son crâne, shlaak, j'y avais mis toutes mes forces, hun, toute cette violence contenue depuis la veille, han, ça s'est mis à sentir le vinaigre partout sur les petits pains, pouah. Là, ce cinglé aurait pu tomber dans les vapes, ou je ne sais quoi ; au lieu de ça, voyez-vous, il a tiré.

J'étais maudit, je vous dis. C'est une femme derrière moi qui s'est étalée par terre. Je me suis mis à hurler, encore une fois le sol était gorgé de sang.
Bonnie !

On a repris notre fuite, et cette fois les journaux s'en donnaient à cœur joie, une vraie chorale, rien ne les retenait, à chaque ville les titres changeaient mais c'était toujours de nous qu'on parlait. On étaient devenus les Amants Terribles, le Couple Sanguinaire ou les Assassins de l'Enfer, et dans l'ombre une armée de gratte-papiers nous tricotait une épopée sur mesure, il y en avait toute une liste, un lot de formules toutes faites qu'ils tenaient en réserve, à la fin ça voulait plus rien dire. C'était du vent, du baratin, du n'importe quoi, moi qui n'avait jamais tenu un flingue de ma vie ils m'avaient baptisé le Roi de la gâchette, du plus doux des agneaux ils avaient fait l'Ennemi Public Numéro 1 et je vous passe ce que ces salauds racontaient sur Bonnie.

Evidemment, on déménageait sans cesse, la vie était devenue une course sans fin, une randonnée folle, interminable, sans beaucoup le temps de manger, boire ou dormir. Dans un sens, on appréciait deux fois plus quand on pouvait s'arrêter. Bon, dans un autre sens, on pouvait jamais s'arrêter.

Question fric par contre, le système possédait certains avantages. En général, suffisait qu'on s'amène quelque part pour voir les mecs ouvrir des yeux ronds comme des pièces de monnaie en levant les bras bien en l'air, et on n'avait plus qu'à se baisser pour ramasser le magot : autant dire qu'on se gênait pas. Il y a eu d'autres accidents, d'autres victimes, parfois on n'avait rien à voir, dans cette société quoi que vous fassiez votre réputation parle pour vous, la nôtre sentait la poudre et le sang et elle courait drôlement vite.


(à suivre)...

9 PETIT(S) COMPRIMÉ(S):

Anonymous Anonyme a écrit...

La pointe des seins, c'est une bonne entrée en matière…

16/8/06 1:13 AM  
Anonymous Anonyme a écrit...

Ne jamais douter de l'utilité des cornichons!
C'est un vrai plaisir du matin ce petit bijou. Et demain c'est déjà la fin ! (Remarque, ça tombe bien parce qu'après je pars en vacances).

16/8/06 7:44 AM  
Anonymous Anonyme a écrit...

Wahou... Quel récit... L'atmosphère est tellement bien rendue qu'on s'y croirait. Idéal pour démarer la journée. Je retourne le lire ! Encore bravo, comme à chaque fois.

16/8/06 8:42 AM  
Blogger bricol-girl a écrit...

L'homme mange du jambon tous les soirs, je vais lui supprimer les cornichons, des fois qu'il lui vienne des envies de meurtre devant mon peu d'imagination culinaire. Demain c'est la baguette reconvertie en matraque assassine?

16/8/06 10:17 AM  
Blogger FD-Labaroline a écrit...

Chais pas pourquoi, tes mots associés à la musique me faisaient penser à qq chose depuis l'épisode 1 mais je ne savais pas quoi... j'ai trouvé aujourd'hui : du Chester Hymes. Va savoir pourquoi...
C'est beau...

16/8/06 12:14 PM  
Blogger Ally a écrit...

Olala mais on s'y croirait vraiment ! A quand la sortie du film ? y a pas un realisateur qui traîne dans le coin ? Enorme ! La suiiiiiiiiiiittttttttteeeee (ouais j'sais, fallait pas, mais j'ai pas pu m'en empêcher, sale gosse que je suis hihihi).

16/8/06 3:44 PM  
Blogger La notice a écrit...

Mais tu n'oses pas encore avouer que tu viens de signer pour le "Tristan et Iseult"... En trois épisodes, dont la BO n'est plus seulement chantée mais racontée (avec la voix des sirènes en fond sonore) J'adore...

16/8/06 7:44 PM  
Blogger Maurice a écrit...

... et là je ne sais pas comment tu as fait, mais la lecture et la musique étaient synchro ! Un petit air de piano bastringue pour le prochain épisode ?

16/8/06 11:11 PM  
Blogger Brigetoun a écrit...

de plus en plus de lecteur il a ce Clyde - mais aussi quelle idée d'avoir un sac plastique surtout à l'époque ! je plaisante, c'est rudement bien raconté

17/8/06 6:31 PM  

<< Home