1.7.05

Mon sang n'a fait qu'un tour.

Pendant deux ans, ma petite sœur s'est donc installée chez nous – et croyez-le, je garde un souvenir ébloui de cette période, même si je ne me suis jamais tant fâchée avec autant de monde que durant ces deux années.

De nous trois, la plus heureuse était sans conteste ma Louloute : pour elle, Christine était comme une grande sœur, qui jouait avec elle, faisait ses devoirs à sa place et lui cédait absolument tous, mais alors tous ses caprices. J'étais loin de m'en plaindre : le soir, en rentrant du boulot, j'avais ma petite sœur rien que pour moi. Et, le croirez-vous ? On papotait pendant des heures.

Après réflexion, j'ai décidé de passer sur les circonstances de son retour. C'était peu après l'accident de mes parents, c'est tout ce qu'il importe que vous sachiez ; pour le reste, accordez-moi de ne pas m’apesantir. A cette époque, il fallait se distraire, s'amuser, penser à autre chose, fuir certaines conversations.

Au cinéma, on a commencé par le cycle Woody Allen. Celui qui a dit : "Dieu reste muet. Si seulement on pouvait convaincre l'être humain d'en faire autant !"

Après, toutes les trois avec Louloute, parfois avec Franck, on a sillonné la région. Le Nord en long, en large et en travers, vous connaissez ? De Boulogne à Ostende, d'Amiens à Bray-Dunes, de Vilvoorde à Lambersart, chaque week-end on allait quelque part. Peut-être est-ce là qu’est née la passion de ma Louloute pour la géographie ?

Étrangement, on n'a pas visité Amsterdam. Un peu comme si on se le gardait pour plus tard…

Inutile de vous le cacher plus longtemps : mon truc à moi c’est les marchés. Bon, eh bien c’est très simple : on les a tous faits.

Soyons claire. Je ne vous parle pas de ces foirails commerciaux qui font papillonner leurs objets fluorescents à la figure des touristes le long des plages, ou qui vous noient sous la barbe à papa fadasse. Au risque de me fâcher avec vous (mais je le répète, je ne crains plus rien à ce niveau-là) je vous dis ça droit dans les yeux : à cette période, de ce côté de la Manche, il n'y avait pas un seul marché qui arrivait aux chevilles du marché de Wazemmes.

Aaaah… Wazemmes. Ses rues débordantes d'activité, sa grande place arborée, ses magnifiques halles de brique rouge, son église St-Pierre St-Paul, ses terrasses de cafés accueillantes. Un village populaire et chaleureux, sis aux portes de Lille (rattaché à la ville vers le milieu du dix-neuvième seulement), où s'installait naguère la longue cohorte des ouvriers du textile, et où cohabitent plus de cent nationalités aujourd'hui…

Aaaah… Wazemmes. Son marché couvert, ses étals multicolores, ses effluves épicées, ses fleurs aux essences incroyables, ses fruits et ses légumes aux parfums entêtants, ses fromages odorants et ses viandes goûteuses, ses tissus d'Afrique ou d'Orient, ses ballots de laine, sa mosaïque formidable de couleurs et d'accents, ses bouquinistes minutieux et ses brocanteurs improbables, son allure cosmopolite, mi-Chinatown mi-Marrakech, sa profusion de marchandises et son ambiance à nulle autre pareille…

Aaaah… Wazemmes. Les mardi, jeudi et plus sûrement dimanche matin, tout ce que l'agglomération compte d'amateurs de trésors et de curieux s’y retrouve – dès les aurores pour les plus avertis. Ménagères pressées, vadrouilleurs avisés en quête d'une bonne affaire, chineurs musants, chacun cherche son bonheur parmi les quatre cents stands qui s'y disputent le chaland. Le marché de Wazemmes ? Un souk géant, un bazar gigantesque, un capharnaüm inénarrable… Une ode à la vie, la vraie.

Aaaah… Wazemmes. Une paye que je n'y ai plus mis les pieds, tiens. Parfois, même, il m'arrive de prêter une oreille étourdie à de bien méchantes langues, qui m'affirment qu'aujourd'hui tout ceci a bien changé, que les loyers y ont explosé et que la population laisse peu à peu la place à une poignée de bobos argentés piétinant d'un orteil fatigué ce qu'ils prétendent sauvegarder de l'autre. Paraît même qu'il est devenu du plus snob que de remonter la rue Gambetta le dimanche, une paire de lunettes noires sur le front…

Mais ça bien sûr, je ne peux pas le croire.

[Fin du journal de Jean-Pierre Pernaud]

A la fin on y descendait chaque semaine.

Christine avait trouvé un disquaire qui lui refilait toutes les raretés qu’il dénichait. Bien sûr, les trucs grésillaient horriblement, et allez donc changer le diamant d’un tourne-disques de nos jours, vous. Mais elle en revenait toujours un éclair dans les yeux, en serrant précautionneusement contre elle un lot de disques vinyles dont j'avais parfois peine à déchiffrer le nom.

C’est comme ça qu'elle a fait mon éducation musicale.

Avant, j’étais plutôt branchée Nostalgie, les classiques, Brel Ferré Brassens Bécaud, Cabrel et Goldmann pour me tenir au courant ; sans parler de Johnny, qu'on m'avait aimablement proposé d'aller voir un soir – sous peine de divorcer. Et les Beatles, bien sûr.

Aujourd’hui, grâce à elle, il m’arrive de tomber sur MTV ou MCM sans changer tout de suite de chaîne, et je pense pouvoir soutenir une conversation sur le sujet avec n’importe quel auditeur d'NRJ, France-Musiques ou Radio-Contact – enfin, je le crois. De toute façon, j'étais bien obligée de la suivre : musicalement, son éventail à elle était encore bien plus large ; à son niveau, ça s’appelait la curiosité, je ne vois que ce mot-là.

C'est donc avec l'obsession toute pédagogique de parachever mon apprentissage (elle était presque prof, n'oubliez pas) qu'elle m'a proposé d’aller dans une rave-party. Pour voir, qu'elle disait. Et tant qu'à faire, chez nos amis britons (je signale que, côté techno, nos voisins belges ne sont pas les plus mal lotis, mais non : pour elle, c'était l'Angleterre sinon rien).

Ce jour-là, quand elle m'a demandé : "Alors, ça te branche ?", mon sang n’a fait qu’un tour (j’adore cette expression, ça fait collection Harlequin et je m'étais promis de vous l'offrir un jour).

Evidemment, j’ai refusé (vous me connaissez).

Et le samedi suivant, comme deux étudiantes on a pris le ferry.

Ha ha ha.




(photos X)

7 PETIT(S) COMPRIMÉ(S):

Anonymous Anonyme a écrit...

A Pointe à Pitre, la cathédrale s'appelle aussi Saint-Pierre-Saint-Paul. et le marché te plairait. et c'est un peu loin pour les bobos, ils ne supporteraient pas la chaleur :-)

30/6/05 5:55 PM  
Blogger Ally a écrit...

La rave se rapproche...La suite la suite ! :D

30/6/05 10:35 PM  
Anonymous Anonyme a écrit...

J'aurais pas pu supporter, je crois que j'aurais encore préféré divorcer... ;)

1/7/05 11:44 AM  
Blogger Maurice a écrit...

De la cathédrale de San Cristóbal de Las Casas au marché de Wazemmes, c'est le dépaysement total garanti !

1/7/05 2:46 PM  
Anonymous Anonyme a écrit...

Faudra t'il donc que je décide un jour à aller voir ce qui se passe au grand nord de Paris.
Tu en donnes envie en tout cas.

1/7/05 5:49 PM  
Blogger Maurice a écrit...

En fait ce n'est pas le charme qui a disparu, car ces endroits n'étaient pas à proprement parler charmants. C'est leur âme qui a disparu

2/7/05 9:42 AM  
Blogger Maurice a écrit...

En fait je ne suis pas nostalgique. J'ai remisé ça dans le coin des bons souvenirs et rien que d'y penser ça me fait encore sourire. Même si ça existait encore je ne suis pas sûr que je m'y amuserais autant. Mes amis d'alors ont changé, comme moi. Il y a d'autres choses maintenant. Différentes et tout aussi agréables. Et puis des choses qu'on a faites alors seraient maintenant inimaginables...

2/7/05 6:31 PM  

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