7.2.05

Lux Fiat.

Répondez-moi franchement, s'il vous plaît. La vérité vous est-elle déjà tombée dessus comme une caisse de briques s'échappant d'un échaffaudage ? Alors que vous étiez dans le noir complet, vous est-il jamais arrivé de voir apparaître subitement la lumière, comme les feux d'un navire s'allumant sur un quai désert ?

Je me permets de vous demander ça, parce que ce matin-là, lorsque Louloute a déboulé en trombe au milieu du salon, un grand éclair blanc s'est produit dans ma pauvre tête, reliant entre eux la paire de neurones fatigués qui me tient lieu de cerveau ; et j'ai alors réalisé avec effroi que j'avais beaucoup trop délaissé mon rôle de mère ces derniers mois.

En ce sens, le silence teinté de mépris que Louloute adressait à chacune de mes timides tentatives d'engager la conversation était plus parlant qu'un discours : ce faisant, elle me renvoyait ma démission à la figure. N'empêche, était-il trop tard pour essayer de renouer quelques fils ?

Comprenez-moi bien. Louloute est notre fille unique, et je crois pouvoir affirmer ici qu'elle n'a jamais manqué de rien ; après quelques-uns de ces épisodes dramatiques qui jalonnent l'histoire d'une vie, toute l'affection de la famille (du côté de son père) s'est reportée sur elle – au risque, peut-être, de faire de notre petite cocotte adorée une enfant gâtée – peut-être. Pour n'en rester qu'à cet exemple, si nous ne partions plus guère en vacances depuis que l'idée d'acheter la maison était dans l'air, elle n'eut jamais à en subir les conséquences – mais toujours l'embarras du choix entre Amsterdam, Londres ou Bruxelles.

Et donc ce matin-là, notre petite cocotte adorée est entrée comme une balle dans le salon.
– MERDE ! QUI C'EST QU'A ENLEVÉ MON DISQUE ? elle a crié.

Quand elle s'est aperçu que j'étais seule dans la pièce et que j'avais encore la pochette du disque dans la main, elle est restée interdite une seconde : puis elle a baissé les yeux, a grommelé un indistinct juron et fait demi-tour. En temps normal, j'aurais rebranché l'aspi ou continué mes poussières ; cette fois, j'ai jugé que le moment était venu de crever l'abcès – d'essayer, tout du moins.
– Attends, Louloute, j'ai fait.
Escaladant à sa suite les escaliers quatre à quatre, je l'ai rattrapée devant la porte de sa chambre.
– Ecoute, j'ai dit, un peu essoufflée. Evanescence c'est bien, mais à force de l'écouter en boucle j'en avais un peu…
– Oui ben y-en a marre de cette maison ! elle a répliqué d'un ton sans appel. Moi je suis là que le week-end, et j'ai même pas le droit de me servir de la chaîne !
Etait-ce mon jour de chance ? J'avais droit à de VRAIES phrases.
– Là, je trouve que t'exagères, j'ai soupiré. Pourquoi tu te sers pas du petit poste en haut ?
– Il marche plus ! Jérémy l'a fait tomber l'autre soir !
– Mais… Tu l'as dit à ton père ? On peut peut-être le réparer !
– Ouais, c'est ça ! elle a répliqué en entrant dans sa chambre.
Et elle m'a refermé la porte au nez.

Là, il faut que je vous explique que sa chambre, c'est le sanctuaire absolu, le vase clos dans lequel nous n'avons le droit de pénétrer qu'en cas d'alerte nucléaire ; loin de me décourager, je suis restée devant la porte et… j'ai frappé.
Oui, vous avez bien lu. J'ai frappé.
– Ouvre ça tout de suite, j'ai dit d'une voix ferme.
En bas dans la cuisine, suivant les hostilités sans en avoir l'air, Franck avait légèrement baissé le son de la radio.

Les spécialistes de l'éducation datent du début des années 70 le déclin de l'autorité parentale, certains grands esprits voyant dans ce déclin la conséquence étroite de Mai 68. Bon, moi je veux bien, mais ont-ils assez souligné que cette autorité a, dans certains cas, parfois laissé la place à un respect mutuel ? Si se retrouver à la porte de la chambre de ma fille constituait pour l'indécrottable gauchiste que je suis le prix de cette évolution, oh combien ce prix m'apparaissait doux et dérisoire !
– Tu m'entends Louloute ? Ouvre-moi s'il te plaît !
La porte s'est ouverte.
Je suis entrée.


Elle avait sorti sa valise de sous le lit.
– Qu'est-ce que tu fais ? j'ai demandé.
– Ben ça se voit, non ? elle a dit sur le ton de la colère. Puisque je ne suis pas chez moi ici, je m’en vais !
– Bonne idée, j'ai dit du tac au tac. Et n'oublie pas le pull que t'as laissé dans l'entrée, surtout. Tiens, tu sais pas ? C'est moi qui vais t'emmener à la gare. Bouge pas, je vais démarrer la voiture !
– Non, je prends pas le train, elle a dit. Papa va m'emmener.
– Ah désolée, j'ai répondu. Là, il est midi, les moules sont prêtes et ton père est en train de s'occuper des frites. Ça m'étonnerait qu'il ait le temps de t'emmener, tu vois ? En plus, Sylvie et Maryvonne viennent boire le café, et Sylvie a dit qu'elle amènerait les gaufres de Nouvel An. Alors, ton voyage à L. avec papa, ça m'étonnerait qu'il puisse se faire avant ce soir… Comme prévu !
– Pfff ! C'est toujours pareil, ici ! elle a fait.
Ce sale caractère, c'est tout à fait son père. Enfin, avant que je le rencontre, évidemment.
– Mais enfin Louloute qu'est-ce qu'il y a, à la fin ? Ça ne se passe pas bien pour toi, à l'école ?
– A la fac, maman. Combien de fois il faudra que je te le dise ? Je suis à la fac !
– Oui, bon, pardon, excuse-moi !
En voyant ses cahiers de classe – pardon : de cours – griffonnés de petites maximes et strophes de poèmes, j'ai eu une idée.
– Tiens, pourquoi tu créerais pas un blog ? C'est sympa un blog ! On peut mettre des photos, des textes de chansons...
– Ouais ça va, chais c'que c'est ! Julien il a un Skyblog !
– Ben alors ? Pourquoi t'en fais pas un ?
– C'est ça ! Pour que tu viennes voir ce que j'écris !
– Mais non, tu te trompes ! D'abord, t'es pas obligée de me donner l'adresse !
C'est drôle, mais en même temps que je prononçais ces mots, je me demandais ce qu'une recherche avec les mots Blog, Gothique et Evanescence pourrait donner sur Google.
– T'façon, ici j'pourrai même pas me servir de l'ordinateur !
Elle n'avait pas tout à fait tort, mais fallait pas pousser.
– Mais pourquoi tu ramènes pas ton portable à la maison ? Avec une rallonge, tu pourrais te connecter depuis ta chambre !
– Oh ben hé ! Tu crois quand même pas que je vais le ramener ici toutes les semaines, non ? C'est naze, ton idée !
Allais-je être poursuivie longtemps par ce mot ?
– Non, ce n'est pas naze, lui dis-je. Allez. Si tu veux, c'est moi qui t'emmène à L., et on fait ça demain matin – comme ça tu peux dormir ici ce soir. D'accord ? Bon, viens maintenant, on va prendre l'apéritif, tous les trois. C'est dimanche ! Qu'est-ce que tu dirais d'une petite chuche mourette ?
– J'aime pas l'alcool, elle a répondu.
– Eh ben ! Tu prendras une grenadine, alors…

Dans le fond, ce qui nous manque, à ma fille et à moi, c'est juste un peu de complicité.
– Ecoute, j'ai fait, en redescendant l'escalier avec elle. Moi aussi j'ai fait mes études à L. Et je sais bien que là-bas ils nous prennent parfois pour des incultes, incapables de faire une phrase sans prendre l'accent flamand et dire des trucs comme wiche, têt'che ou koukelour…!
Elle a pris un air indigné.
– Oh maman !
– Ben quoi ? C'est drôle, non ? Et encore, moi je les connais pas tous ! Le flamand, le chti, moi je les parle que sous la torture, mais cela dit, ça fait quand même partie de notre culture ! Faudra demander à Thierry de nous faire un cours, un de ces jours…
Elle s'était calmée. J'en ai profité pour lui parler de mon projet.
– Voyons. Ta tante Christine revient la semaine prochaine. Elle a dit qu'elle venait quelques jours, et telle que je la connais, ça veut dire qu'elle va rester deux ou trois semaines, avec Eric. Au moins jusqu'à la Bande de M. ! Bon, disons que… A la fin du mois ou au début du prochain je vais passer quelques jours à VA. D'accord ?
Elle m'a regardée d'un drôle d'air.
– Quoi, j'ai dit. Y-a toujours le grand lit, dans la chambre du fond ?
– Y-a plus que le matelas, elle a bougonné.
– Eh ben tant pis, j'ai fait en me massant le dos. Vive l'aventure !




(tableaux Fernando Botero)

6 PETIT(S) COMPRIMÉ(S):

Anonymous Anonyme a écrit...

C'est n'importe quoi !
Zyva, où c'est qu't'as mis son skud ?
Franchement les parents, aujourd'hui, ça n'est plus ce que c'était.

*pensée émue et compatissante*
;-)

Barnabé

7/2/05 10:49 AM  
Anonymous Anonyme a écrit...

Mère indigne

meuh j'rigole ma chtite ... ;)

L'Amère qu'a la flemme de s'abonner

7/2/05 4:51 PM  
Anonymous Anonyme a écrit...

Réponse rapide mais ce n'est pas l'envie qui me manque de développer d'avantage..manque de temps.

1 - Tout d'abord, la vérité absolue ne fait pas partie de ce monde. Dans ton cas (je peux tutoyer ?), je pense que c'est très discutable, tout dépend du point de vue. La lumière que tu aurais apercue ne serait elle pas plutôt une lueur d'espoir. Car aux problematiques de relations humaines, les solutions miracle n'existent pas.

2 - La paire de neurones fatigués qui te tient lieu de cerveau a l'air de très bien fonctionner. Nombreux sont ceux qui aimeraient avoir ta plume et ton talent.

3 - Démission ? Timides tentatives ? Je pense qu'il ne faut quand même pas s'effacer devant les sautes d'humeur d'une adolescente en quête de personnalité. Le problème est bien classique, je suis sur que bcp de très bons auteurs ont proposé des solutions / démarches

4 - Bateau dans un quai désert pour combien de temps ? Il ne faut surtout pas saborder ce bateau. Au contraire, le maintenir à flot et le faire naviguer de mille feux.

5 - Qu'en dit le Papa de cette charmante adolescente ?

Amicalement

Petit Prince

7/2/05 7:41 PM  
Anonymous Anonyme a écrit...

Subitement la lumière, comme les feux d'un navire s'allume sur un quai désert!!!
...et pourtant je n'enlève pas de disque:-)

tgtg

8/2/05 10:16 PM  
Anonymous Anonyme a écrit...

Coucou Anitta,
impossible de m'inscrire avec cette histoire de mot de passe, ça passe pas. J'ai pas les neurones qu'y faut et chez moi, contrairement à toi, c'est vrai!
Du coup, je ne sais plus quels mots brillants d'encouragement j'allais t'écrire.
Mais en tout cas, si ta petite Louloute ressemble à la fée du dessin, tout espoir est permis sous ses airs gothiques...
A très bientôt, je vais me pencher sur cette histoire de bloggermachinchouette.
C'es signé non-anonymement: jujuly (http://jujuly.blogspirit.com)

9/2/05 12:39 AM  
Blogger Ally a écrit...

Du dialogue du dialogue ! c'est déjà ça !:-) Bah à la fac de L. y a pas pleins de chtis ? En tous cas : wiche, têt'che ou koukelour => moi pas comprendre lol.

9/2/05 3:54 PM  

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