11.6.05

Deux.

Sur ces entrefaites, j'ai convaincu Franck de m'épouser.

Vous méprenez pas. Cette idée de mariage n'était pas la dernière lubie d'une jeune fille en rupture de bans voulant attirer l'attention de ses parents (et principalement son père) sur son compte et peu-lui-importait-les-moyens. Au contraire : j'avais bien réfléchi. Même si j'avoue avoir désiré que le monde entier connaisse mon bonheur (surtout du côté des logements de fonction d'une certaine école des alentours de D.) à défaut de le partager, je vous jure qu'en passant devant Mr le Maire je rêvais surtout d'un mariage d'amour et d'une grande fête. Et, en tout point de vue, Franck était l'homme idoine – même s'il m'arrivait encore, certains soirs, de relire attentivement les horaires de train, ma valise à la main.

Mais ce ne fut pas facile, ça non.

Gardez ça pour vous : Franck n'était pas très chaud, au début.

Sans forcer, cette affaire nous a occupé plus d'un soir, pendant lesquels j'ai dû lutter pied à pied. Je comprenais ses réticences : comment un homme dans son genre, capable de dire non à son chef d'unité sans plier jamais, malgré les menaces, la carrière en berne et tout le toutim, pouvait-il capituler aussi rapidement face à un bout de femme comme moi, ne possédant aucune mais alors aucune culture de la contestation, syndicale ou autre ? Hein ?

Comment j'ai fait ? Oh, aujourd'hui qu'il y a prescription je peux l'avouer : Franck, je l'ai eu à l'usure. Pendant plus d'un mois je n'ai pas eu d'autre sujet de conversation ; une sacrée gageure, croyez-moi. Tous les soirs (et Dieu sait qu'il ne rentrait pas à 16h tous les jours) je remettais les choses sur le tapis. Le reste du temps, c'était facile : je sollicitais humblement son avis. Etait-il d'accord avec le menu que j'avais élaboré ? Partageait-il le plan de table que j'avais dessiné ? Et apercevait-il une erreur de calcul dans le budget que j'avais échaffaudé ?

Et quand je dis budget, je me comprends.

Voilà comment je voyais les choses : après les formalités d'usage, on se serait rendu à la ferme, nous et nos invités, dans une belle procession de voitures bleues ; là, les arbres décorés, les murs garnis d'étoiles et les oiseaux nous auraient chanté mille louanges, les frères de Thierry se contentant d'assurer la bande-son, avant qu'on entame le fameux repas ; puis d'autres amis auraient apporté des cassettes, etc.

Au fur et à mesure que se construisait cette journée, j'ai du mal à vous retranscrire l'enthousiasme qui était le mien.

Oui, j'avais bien réfléchi. Plus que tout faut dire, j'étais transportée par la certitude d'avoir déniché l'oiseau rare.

Le lendemain matin du jour où il a enfin dit oui (oh, pas un grand oui plein de ferveur, ça non, mais pas un oui du bout des lèvres non plus) et que nous avons alors préparé tous les deux notre fête plus sérieusement, j'ai virevolté tout mon saoul dans l’appart', joyeuse à n'en plus pouvoir ; je crois que si je l'avais eu sous la main, je me serais passé ce fameux disque de Karen Chéryl.

Epouse-moi,
Et partageons notre existence
Epouse moi
Notre horoscope est à la chance
Epouse-moi
Laissons nos cœurs suivre nos rêves
Laissons nos corps suivre nos lèvres
Et le destin suivre nos pas.
Epouse-moi
Epouse-moi…


Et tant pis, si le divorce paraissait alors le destin des couples de notre âge ; tant pis, si une fois la bague au doigt le conte de fées ne devait durer qu'un éclair. Quand on aime, on ne compte pas : et je l'aimais, moi, cet homme-là. Je vous dis ça sans ciller : moi, fille de féministe, ni nunuche ni chienne de garde, et peu suspecte de complaisance ou d'apitoiement sur mon sort. A mes yeux, l'égalité est un combat de chaque jour, et même si ça ne faisait que quelques mois que nous étions ensemble, ce combat on le menait ensemble, figurez-vous.

Devant mes humeurs pas faciles, Franck savait me faire rire ; le reste du temps, il savait me parler, et il savait se taire aussi ; en un mot, il savait être avec moi celui avec lequel je me sentais deux ; et moi qui n'avait jamais connu un tel déferlement d'émotions dès qu'on prononçait son nom, tout ça me dépassait. Et si vous me demandez si l'inverse était vrai aussi je vous répondrai que oui. Pour autant que je sache, évidemment.

De toute façon, les événements qui devaient suivre allaient se charger de me l'apprendre.

Car si le mariage dont il est question ici aurait bien lieu, ce ne serait pas tout à fait dans les circonstances prévues.

Pendant ce temps, il y avait un de nos fidèles amis si inconsolable et qui s'efforçait si peu de le montrer que tout ce que la ville comptait d'alcooliques anonymes et de poivrots connus fut mis au courant en moins de temps qu'il ne faut pour le dire. Thierry y gagna sa réputation (pas totalement usurpée je dois avouer) de l'Homme-qui-boit-sans-soif-le-soir-près-du-port.

De bon cœur, je m'occupais de lui ; Franck et moi l'invitions chaque fois que possible à la maison, et il n'était guère de soirs où nous sortions sans qu'il nous accompagne. Prête à tout lui passer et pétrie de bons sentiments à son endroit, je passais de temps à autre faire un peu de ménage dans son studio.

Je remplaçais ma sœur, en quelque sorte.

Depuis son départ, Thierry se négligeait un peu. Chez lui, je vidais des cendriers remplis à ras-bord de mégots et de cendres, jetais au vide-ordures des monceaux de canettes et débarrassais des restes innommables de pizzas et sandwiches les plus variés. Un matin que j'avais fait un saut chez lui, histoire de repasser du linge ou désinfecter sa salle de bains, je m'étais retrouvée face à une femme d'un certain âge, sortant de la douche comme si de rien n'était.

Je m'y attendais si peu que j'ai eu plus peur qu'elle ; lâchant ma pile de linge, j'ai hurlé un grand coup – ça a fait :
– Waaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaah !




(photos X)

9 PETIT(S) COMPRIMÉ(S):

Blogger Ally a écrit...

Elle était si affreuse que ça pour t'avoir fait autant peur cette "femme d'un certain âge" ?! :D

12/6/05 9:29 AM  
Anonymous Anonyme a écrit...

Et voilà qu'une fois de plus, époustouflée et impatiente de lire la suite...

13/6/05 12:51 PM  
Anonymous Anonyme a écrit...

Hein, quoi, comment ?
On n'en est même pas encore à la noce que déjà tu nous lâches qu'il y en a eu DEUX ? (Parce que dans le titre, j'avais pas deviné, moi, ça pouvait vouloir dire DEUX face à la vie, ou DEUX face à face, ou DEUX devant l'éternité, ou DEUX de chute, ou..............)
La suiiiiiiiiiiiite !

13/6/05 1:36 PM  
Anonymous Anonyme a écrit...

Alors si j'ai bien compris, tu as épousé un rare homme froid et usé.
En plus, tu l'aurais obligé à écouter Karen Chéryl.

Je comprends qu'il soit drôle.
Et maintenant que tu hurles, il doit être sourd.

C'est bien ce que je pensais. Pour supporter une femme, tout homme doit être sourd et avoir un grand sens de l'humour.

Ben quoi ?

13/6/05 2:12 PM  
Anonymous Anonyme a écrit...

Voilà un billet fort intéressant et de nature à laisser attendre le prochain épisode avec impatience...
Les commentaires alléchants laissent présager quelques aventures supplémentaires...
Mais qui est cette femme ?
(moi-même j'ai cru qu c'était ta future belle-mère! Il n'en est donc rien, gasp !)

13/6/05 6:18 PM  
Anonymous Anonyme a écrit...

grrr

Et comemnt je faire pour dormir maintenant???

13/6/05 9:23 PM  
Anonymous Anonyme a écrit...

j'en perds mon ortograf:-)

13/6/05 9:24 PM  
Blogger Ally a écrit...

Oui bah la pleine force de l'âge je sais pas quel âge c'est moi ! C'etait sa grand mère ?:-) Pfff ça s'peut pas, t'as dit que c'etait a peu pres ton age d'aujourd'hui ! et comme t'as le même âge que ma maman à moi...:D

13/6/05 10:26 PM  
Anonymous Anonyme a écrit...

Anitta : jolie définition de "la force de l'âge" !

Allons bon, tu ne sais toujours pas qui était cette femme ?!

(le mystère s'épaissit, une publication rapide de la suite serait grandement appréciée)

14/6/05 8:08 AM  

<< Home