24.12.04

Le petit oiseau va sortir.

Je ne devrais sans doute pas le dire, et encore moins l'écrire, mais j'ai bien peur de savoir déjà ce que va m'offrir le Père Noël.

Ah, ça valait le coup, hein, de prendre des mines de comploteurs depuis quinze jours ! De chuchoter dans la cuisine tandis que je vaquais dans le salon, ou vice versa – et de se taire brusquement quand j'entrais dans la pièce, en pensant benoîtement que je ne me rendrais compte de rien ? Hein ?!?

Eh ben c'est raté ! J'ai tout deviné !

Allez, je ne résiste pas. Ce que je découvrirai, ce fameux soir, au fond du paquet, une fois déchiré le papier cadeau ? Un appareil photo. Numérique (avec pas trop de boutons, c'est tout ce que je demande). Quoi, la surprise ? Comment ça, la surprise ?

Bah ! Ne vous inquiétez pas, va. Je sais très bien jouer la comédie, et croyez-moi que tout à l'heure, je saurai faire l'étonnée, pousser un "Oh !" de perplexité en découvrant le paquet au pied du sapin, et lancer des sourires gênés à la cantonade ; je pense même que je jouerai le jeu jusqu'à embrasser tout le monde avec des "Mais au fait, comment vous avez deviné que… ?".

Non vraiment, ne vous inquiétez pas.

D'abord, ce ne sera pas réellement de la comédie. Car je peux bien gloser sur le manque de discrétion de ceux qui me sont chers : après tout, moi qui vous parle, n'ai-je pas dépensé des trésors d'énergie pour l'obtenir, mon fichu appareil numérique ? Lors des courses en famille, n'ai-je pas soupiré assez fort en passant devant le rayon photo ? Ne me suis-je pas suffisamment penchée sur la vitrine, chaque fois ou presque, pour y déchiffrer tarif ou mode d'emploi ? Et n'ai-je pas enfin, la semaine dernière, laissé traîner le catalogue de La Redoute, négligemment ouvert à la bonne page, sur la table du salon ?

Non. En fait ce qui me chiffonne un peu, c'est qu'aujourd'hui dans le journal j'ai appris qu'on trouvait des appareils numériques très basiques à même pas trente euros. Et ce qui me chiffonne surtout, c'est qu'en fait de cadeau, finalement… j'aurais préféré un iPod.

Je sais : je suis une enfant gâtée. Mais tâchez de réaliser : dans un truc pas plus épais qu'un étui à lunettes, on peut stocker jusqu'à dix mille chansons ! Vous vous rendez compte ? Essayez un peu, pour voir, de calculer combien de temps on peut courir le long de la plage, avec dix mille chansons dans la poche… Eh, et n'oubliez pas d'emmener des piles !

C'est en courant le long de la digue que j'ai rencontré Sylvie. Alors que pour l'occasion j'avais ressorti mon antique walkman à deux balles, et glissé à l'intérieur ma cassette d'Eurythmics – une vraie cata : dès que je me mettais à foncer, la bande tressautait, et on aurait dit qu'au lieu d'Annie Lennox, c'était Ruggiero Raimondi qui entonnait les paroles – le clip plastique de l'engin avait glissé de la ceinture de mon jogging, et l'appareil s'était fracassé sur le pavé, les piles giclant de leur emplacement comme des grains de maïs dans une machine à pop-corn.

Elle m'avait aidée à ramasser les débris, me tendant les morceaux avec un petit sourire, et c'est ce petit sourire en coin un peu triste qui m'avait fait reconnaître la femme pressée ayant raccompagné Louloute un soir de pluie deux mois plus tôt.

On avait échangé quelques mots ; par politesse, je m'étais enquis de la santé de ses gamins, et des dispositions qu'elle avait prises pour pallier au remplacement de ma grande fille, qui depuis qu'elle avait brillamment obtenu son bac (décrochant, au passage, un 17 sur 20 en philo dont son grand-père aurait été particulièrement fier) ne faisait plus aussi souvent la nounou qu'elle l'aurait voulu.

C'est dans les intonations de sa voix, à l'accent flamand assez fortement prononcé je dois dire, que j'ai cru percevoir la gêne que j'évoquais. Sans réfléchir, j'ai évoqué les longues après-midis qui étaient les miennes, le mercredi comme les autres jours ; et, ce qu'il restait de mon walkman dans ma main, on s'est séparées sur la vague promesse d'un coup de fil à venir.

En un sens, rien de tout cela ne serait arrivé si j'avais eu mon i-Machin, là.

Bien sûr, pour le faire fonctionner il aurait fallu que j'apprenne à télécharger des fichiers mp3 (quelque chose, par principe, que je me suis toujours refusée à faire) : cela dit, vu le nombre de pirates qu'on compte dans l'Hexagone, je suppose qu'il n'y a pas besoin de sortir de Saint-Cyr. De toute façon j'aurais pris mon temps : à peine levée, je me serais calée devant l'ordinateur, j'aurais visité tous les sites en question et peut-être, au passage, discuté avec des gens ayant les mêmes goûts musicaux que moi et… et au bout du compte, s'il n'était pas trop tard pour aller courir, il serait toujours au moins l'heure d'aller chercher le courrier au bout du jardin, les écouteurs fichés dans les oreilles.

Que voulez-vous, c'est comme ça : depuis que je ne fais plus rien, je n'ai plus une seconde à moi.

En tout cas, si jamais ce n'était pas possible pour l'appareil photo, j'espère qu'ils ne m'offriront pas un jeu vidéo !




(photos X)

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