29.6.05

Viva Zapata !

En toute modestie, je dois être une des premières de ce côté-ci de l’Atlantique à avoir su situer le Chiapas sur une carte. Aujourd’hui, on m’en apprendrait sans doute de belles, mais j’ai contemplé si souvent les photos qu’en a ramené ma sœur que je pourrais vous décrire encore les yeux fermés la cathédrale de San Cristóbal de Las Casas. Et j’ai longtemps été incollable sur les combats du Sub-commandante Marcos. Mais bon, j’avoue : après la grande marche de 2001, j’ai un peu décroché.

Ou bien était-ce... Après le 11 septembre ?

Personnellement je n’ai jamais mis les pieds au Mexique, mais ma petite sœur possède cette qualité rare de saisir avec justesse les anecdotes, les à-côtés, toutes ces choses qui donnent du sel à votre vie… et de les relater ensuite avec un humour et un sens du détail qui vont vous rendre passionnant le récit de ses journées.

C’est un vrai don. Des fois, j’aimerais l’asseoir devant un clavier et la forcer à écrire des romans.

Tout le monde les lirait j’en suis sûre : pendant deux ans, c’est toujours elle qui a raconté ce que nous avons fait de la façon la plus captivante et la plus drôle.

Par exemple, on va aller faire des courses : en rentrant, croyez-vous qu’elle va vous dire ce qu’on a acheté, le prix que ça nous a coûté, le temps qu’on a mis et toutes ces choses qu’on écoute en bâillant ?

Non. Pas elle.

Elle, en rentrant elle va vous dire ce gars qui se disputait avec sa femme devant les produits ménagers, et qui est parti à rougir quand il s’est rendu compte qu’elle entendait tout ce qu'il disait, elle va vous raconter ces vieilles dames avec leur chariot rempli de bouteilles de Jenlain cachées sous des sacs de légumes, elle va vous imiter la caissière dont l’accent ch’ti un peu trop prononcé l’a fait pouffer de rire au moment de payer.

A la fin vous n’avez pas été faire des courses : vous avez rencontré un morceau d’humanité.

Après, il ne va pas falloir me pousser pour que j’en rajoute à mon tour. Et qu’entre deux fous rires, le récit de cette après-midi nous tienne éveillées toute la soirée.

Au bout de deux ans, quand elle a quitté la maison pour partir avec son musicien, je crois que Franck a soupiré de soulagement. En tout cas, son activité professionnelle a dû s’en ressentir : à la maison, il était beaucoup moins souvent absent qu’avant. J’espère que personne ne lui a fait de remarque (hi hi hi).

Bon, vous en apprendrez sans doute davantage en feuilletant un vieux Géo, mais le Chiapas, c’est le réservoir d’eau produisant plus de la moitié de l’électricité du Mexique.

Sur un territoire où vivent côte à côte des tribus d’Indiens sous-alimentés, des familles de paysans durement opprimés et de riches propriétaires terriens protégés par des milices.

Le 1er janvier 94, les zapatistes de l’EZLN ont pris d’assaut San Cristóbal ; armés de fourches et de mitraillettes, ils ont tenu la ville pendant quatre jours.

Mais, comme je vous disais, on vous narrera la suite bien mieux que moi.

Du Chiapas, ma petite sœur m’a ramené une foule de souvenirs. Les peintures argileuses dont les Indiens se couvrent le torse. Leurs longs pagnes blancs. Les églises où trônent des effigies de saints en bois peint. Leur capacité à rester immobiles de longues heures à l’entrée des villages, puis de disparaître dans la jungle comme ils étaient venus. Ces enfants quittant l’école aussitôt qu’un autocar débarquait dans le village. Ces petites filles qui se baptisaient Véronica devant les touristes, parce que c’est le prénom le plus occidental qu’elles connaissent et que c’est plus facile ainsi d’aller mendier quelques pièces.

Eh oui... N’avez-vous pas, vous même, une Véronique dans vos relations ?

Si ma petite sœur m’a souvent battu les oreilles avec le Mexique au cours des deux ans pendant lesquels elle a habité chez moi (mais je n’étais pas la dernière à lui demander), j’avoue que c’est avec plaisir que je me plongeais dans ses albums photos, ses notes de voyage et le Guide du Routard en sa compagnie.

Au point que je me demande si ce ne sont pas ces récits, au fond, qui m’ont rendue agoraphobe.

Rien que penser qu’il y a 20 millions d’habitants à Mexico, je suis saisie d'un frisson … Brrr !

C’est curieux. Petite, je m’étais passionnée pour Cortès et ses conquistadores, leur quête de l’Eldorado, tout ça. Ah, pour ça j’en avais lu des bouquins fascinants… Tous ceux d’Alain Decaux et d'André Castelot (c’est dire). Et vingt ans plus tard, c’est ma petite sœur qui est y allée.

A toutes fins utiles, je dois préciser que mes lectures m’avaient rendue totalement pro-Aztèque.

Elle, elle est revenue Maya de chez Maya.

N’empêche. Dans ces livres, l’impérialisme n’a jamais été aussi bien disséqué. Remplacez le Mexique par l’Irak, Cortès par Bush, l’or et les bois précieux par du pétrole : c’est la même histoire.

"Quand nous vîmes tant de villes construites sur l’eau et d’autres sur la terre ferme, et cette grande route pavée mènant à Tenochtitlán, nous restâmes stupéfaits. Je me disais que jamais plus dans ce monde on ne découvrirait un tel pays… Toutes ces merveilles sont aujourd’hui détruites et perdues, rien n’est resté sur pied ". (Bernal Diaz del Castillo, chroniqueur du XVème siècle)

Et en 120 ans, 90% des Indiens ont été exterminés.

Bien sûr, ce serait une faute d’évoquer le Mexique sans citer les noms de Pancho Villa et Emiliano Zapata ; mais il y aurait tant à dire alors…

En tant que femme, je préfère rappeler qu’au début des années 80 un important programme de contrôle des naissances a été adopté là-bas. Puis, Jean-Paul II est arrivé, a fait son rituel petit discours obscurantiste, et c’en a été fini à jamais des mesures adoptées pour favoriser contraception et avortement. Résultat, dix millions d'habitants supplémentaires en quinze ans. Une paille.

Alors de tout ceci, que l’altermondialisme soit né au Chiapas… Il y a une certaine logique je trouve.

Ma sœur n’y est pas restée longtemps. A l'époque où elle s'y trouvait, la répression était trop féroce. Quelques jours après son arrivée, au lendemain qu’une famille de 45 personnes se soit faite entièrement massacrer, les autochtones l’ont chassée, elle et son copain. Quand tant de miliciens rêvaient de revanche, ce n’était ni le lieu ni le moment d’éduquer les foules.

Ils sont partis dans le Yucatan. Un endroit où les indigènes sont tout autant exploités, mais beaucoup plus gentiment : là-bas, les Américains se contentent de faire occuper la région par une armada de touristes aux poches remplies de dollars, qui repart chez elle chaque semaine tandis qu’un peuple asservi va dormir chaque nuit dans ses taudis.

Dans cet univers de carton-pâte, elle n’est restée qu’un an.

Bien sûr, on aurait pu croire qu’un tel voyage aurait tempéré son caractère ; c’est tout le contraire qui s’est produit. Elle est revenue encore plus un couteau entre les dents qu’avant. Je suis bien placée pour le savoir : ça faisait pas quinze jours qu’elle était chez moi qu’elle voulait déjà me traîner dans une rave-party.




(photos X)

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