29.5.05

Le bal du peinturluchonneur.

une autre fois c'est pas qu'on avait l'alcool triste mais disons qu'avec ce qui tombait depuis des lunes c'était comme une gouttière qui déversait son trop-plein de flotte sur la ville les rues transformées en rivières le vieux-lille ouaté dans un épais brouillard les rues piétonnes emplies du pas de passants faméliques jusqu'au beffroi qui égrenait ses heures avec l'enthousiasme d'un rottweiler sous lexomil

alors ben qu'est-ce que vous voulez
côté morosité je vous passe les détails
la soirée paraissait foutument mal partie
genre une bonne soupe et au lit

mais on a tous connus ces crépuscules qui s'illuminent d'un coup oh oh et c'est comme ça que ça s'est passé oui rien n'était prévu on sortait juste de s'en mettre plein la lampe ha ha dans une gargotte pour étudiants fauchés je crois qu'on avait bu aussi correction on avait vraiment bu et des copines proposent de nous catapulter dans la ville-qui-vous-livre-en-quarante-huit-heures-chrono motif le happening underground d'un peinturluchonneur maudit

et nous ben nous mais qu'est-ce que vous voulez
on se regarde une seconde dans les yeux
on dit banco et hop c'était parti
en voiture mon kiki

après tout elle et moi on n'en a pas passé tant que ça des soirées là-bas elles se comptent sur les doigts de deux ou trois mains elle débarquait à la fac la gueule enfarinée non ne dis rien tu t'es encore fâchée avec le vieux je posais même plus la question on allait s'asseoir dans le premier bar venu elle me parlait et j'écoutais on est plutôt taiseuses dans la famille enfin moi surtout deux ou trois bières plus tard il serait toujours temps de voir venir

on est monté à quatre dans la supercinq
la capuche sur la tête pour éviter de
se la faire ouvrir par les gouttes
bruine d'automne ou de printemps mon œil
des giboulées coupantes comme des rasoirs

maintenant on est dans une courée au fond d'une petite rue mais si voyons ces bâtiments tout en longueur découpés en taudis et les latrines en face dans la cour là où créchaient les ouvriers un vrai rêve de patron on est sous une grande tente enluminée de guirlandes avec des tables où les gens s'arrachent la bière et les gâteaux il y a un accordéon et un violon qui envoient les valses et les polkas quand on arrive les danseurs se mettent en rond

alors nous ben qu'est-ce que vous voulez
on pose nos impers dans une chambre
on saisit les mains qui se tendent
on entre dans la magie du cercle circassien

ça dure comme ça un moment on fait comme tout le monde on danse beaucoup on boit un peu correction on boit au même rythme qu'on danse bientôt les polkas se ramènent on repart au charbon on échange nos cavaliers au hasard des scottiches et des mazurkas la sentez-vous cette allégresse qui monte et parcourt les corps endiablés les yeux qui brillent les sourires qui s'échangent c'est bal ce soir c'est ici que ça se passe et on a la chance d'en être parfois son bonheur il faut savoir le saisir ah ah

et ça discute fort et ça picole sec aussi
les couples se font se font et se défont
et nous ben nous on se laisse faire
doucement portées par l'alcool l'ambiance

quand la musique s'arrête arrivent gâteaux et packs de bières c'est razzia sur le bar béa d'un côté moi de l'autre on se retrouve chacune à discuter de choses genre picasso n'a rien inventé et vous le jazz vous en pensez quoi des trucs passionnants à vrai dire on parvient même à émettre un avis correction on est aussi bourrées que ceux qui nous parlent et la fête menace de virer dinguerie générale parfois des éclairs de lucidité nous traversent du style mais qu'est-ce qu'on fout là nous on connaît personne ici

maintenant ben il fait chaud oui vraiment chaud
dehors la pluie tombe toujours à torrents
on enlève nos pulls et on danse
gigue ou bourrée correction bourrée

subitement un vieux au regard inspiré se dresse près de béa attention c'est lui le peinturluchonneur il se plante sous un projecteur et prononce un flot de paroles l'art c'est une projection des ondes de la vie je vous le dis en raccourci en vrai ça a duré longtemps et plus le vieux partait dans ses délires et plus il se mettait à parler fort à cinq mètres de là je voyais béa plisser les yeux et se retenir de pas rire faire semblant de se tenir mais je la connaissais l'animale

bientôt elle pouffe et elle s'étrangle
en faisant celle qui tousse
et autour du peinturluchonneur
tout le monde ne voit qu'elle
qui rigole et ne se retient plus

de sa grosse voix l'autre pérore sur les sentiments qui sont un reflet de sa peinture et non l'inverse voyez-vous et fallait voir béa pliée en deux s'étouffant à moitié à la fin on n'en pouvait plus on est sorties toutes les deux dans la rue le temps de se calmer on serait bien rentrées chez nous hélas erreur fatale impossible de retrouver la porte du logement dans lequel on avait déposé nos impers hé oui dans une courée toutes les portes se ressemblent

alors on a fait demi-tour vers le bar
ah ça on allait s'en souvenir
de notre escapade en banlieue

sous la tente l'autre avait fini et maintenant un gars plus jeune se tenait au centre un gars beau comme un dieu avec un bonnet de marin sur des mèches décoiffées qui dévoilait les tableaux du peinturluchonneur et à chaque fois qu'il en découvrait un les gens applaudissaient les toiles représentaient heu ben tout et n'importe quoi correction plutôt n'importe quoi maintenant on voyait mieux où le peinturluchonneur avait voulu en venir avec sa vision de la vie tout ça une belle fumisterie je vous dis

et nous ben on est reparties à rire
en regardant ces sacrées croûtes
quand plus tard la musique a repris
le gars a jeté son bonnet et invité béa

je ne sais pas pourquoi je vous raconte tout ça oh si ce fut un grand moment de rigolade avec ma sœur un souvenir heureux mais partagé en même temps vu que le gars au bonnet le jeune gars drôlement beau qui accompagnait le peinturluchonneur et dévoilait ses œuvres eh ben c'était vincent oui oui le beau vincent et maintenant vous savez presque tout ensemble ils ont dansé ce qui restait de la nuit et c'est sous des éclairs d'orage et d'accordéon que leur histoire a débuté

et moi après ben qu'est-ce que vous voulez
j'ai retrouvé mes affaires et une copine
je suis retournée dans ma chambre
me suis jetée toute habillée sur le lit
me suis jetée toute habillée sur le lit



(illustrations DR)

9 PETIT(S) COMPRIMÉ(S):

Anonymous Anonyme a écrit...

J'ose à peine t'écrire Anitta tellement c'est joli ta chanson, car c'est bien une chanson, la chanson du rythme et de la vie, de l'espoir et de la nuit, du rire et de l'oubli (tiens ça me dit quelque chose...)

Et ce style...
non, c'est vrai, j'ose à peine t'écrire, mais j'ai quand même envie de te dire bravo. Alors voilà. Bravo.
Et puis merci, aussi.

29/5/05 9:33 PM  
Anonymous Anonyme a écrit...

Soufflée... (comme souvent chez toi).

30/5/05 8:36 AM  
Anonymous Anonyme a écrit...

Me voilà tout chamboulé par l'ambiance, ce n'est pas compatible avec le boulot !
Je ne te remercie pas !
;-)

30/5/05 10:09 AM  
Anonymous Anonyme a écrit...

c'est beau !!!

c'est ...

c'est beau

...

ben oui y' a rien d'autre à dire !

si

je tembrasse fort

30/5/05 6:49 PM  
Blogger Ally a écrit...

Supers peintures ! (ton texte est trés bien aussi hein ! mais ça c'est comme d'hab lol).

30/5/05 8:18 PM  
Blogger Maurice a écrit...

...et ça sent la morue jusque dans l'coeur des frites...

la forme est audacieuse le pinceau est bien aiguisé la description est drôle correction c'est pas drôle que je voulais dire mais l'humour affleure toujours

31/5/05 12:22 AM  
Anonymous Anonyme a écrit...

et après t'être jetée toute habillée sur le lit, as-tu réussi à dormir?

31/5/05 11:55 AM  
Anonymous Anonyme a écrit...

C'est génial ce texte, il faut le mettre en scène avec deux ou trois personnages qui s'appuient, s'encouragent, se contredisent, se reprennent, s'avancent à tour de rôle, repartent, puis tournent, tournent, tournent. Je vois ça d'ici.

3/6/05 9:33 AM  
Anonymous Anonyme a écrit...

C'est étrange comme en l'absence de notations musicales dans tes phrases on perçoit tout de même ta mélodie joliment ponctuée... :)

4/6/05 2:08 PM  

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