30.1.05

Revolution (part one).

Ça commençait à bien faire. Avec une autorité qui m'a surprise la première, j'ai stoppé le lecteur, éjecté ce fichu disque qui me tapait grave sur le système, et introduit Abbey Road à la place.

Aaah, la face B d’Abbey Road

Le disque à emporter le jour où Lille sera déserte.

L'histoire est trop belle pour être passée sous silence. A l'heure où la Star'Academy vous expédie sa compil annuelle en trois jours, la question qui se pose c'est : à quel moment un artiste considère-t-il son œuvre achevée ? A quelle nuance précise de bleu un peintre estime-t-il enfin le ciel de son tableau terminé ? Avec combien de violons sur le refrain un compositeur juge-t-il que sa chanson tient la route ? Ou bien : au bout de combien d'heures passées à suer sur ses vers un poète livre-t-il ses alexandrins en pâture ? Bon, là-dessus je vous aurais bien pris Rembrandt pour exemple, mais tels que vous êtes, vous n'y entendez rien à la peinture, n'est-ce pas ?


Voilà. Le 8 janvier 1969, les Beatles se réunissent à Abbey Road, leur studio d'enregistrement, pour mettre en boîte l'album qui doit faire suite à Yellow Submarine. Enfin, quand je dis les Beatles… Disons plutôt : un Paul McCartney qui, à force de voir les mélodies qu'il sifflote sous la douche faire fructifier son compte en banque, veut prendre en main les affaires financières du groupe ; un John Lennon engagé à fond dans une farouche opposition à la guerre du Vietnam et une toute aussi farouche histoire d'amour avec Yoko Ono ; un George Harrison seul rescapé des processions mystiques en Inde, chaque jour plus mortifié de voir ses chansons rejetées l'une après l'autre par le tandem magique ; et un Ringo Starr ayant perdu tout sens de l'humour, dégoûté qu'il est des luttes de clans incessantes qui minent sa bande de copains.

Je n'invente rien : toutes les séances de ce douzième album seront filmées – le reportage qui en sera tiré montre ce qui précède bien mieux que je ne saurai jamais l'écrire. Finalement, en quelques semaines marquées par les querelles, les fâcheries, les absences, le quatuor met en boîte une douzaine de chansons… avant d'estimer que le résultat n'est pas satisfaisant. Oui : aussi incroyable que cela paraisse, pour la première fois de leur carrière, un album entier des Beatles est mis au rebut : faute de mieux, les bandes sont archivées dans une vague armoire. Fin de l'acte I.

Mais comme il est dit qu'avec les Beatles rien ne se passe jamais comme prévu, par on ne sait quel miracle le groupe se réunit à nouveau cinq mois plus tard au même endroit ; personne ne le sait, mais il va composer là, en juin 69, son dernier disque : le plus beau, le plus complet, le plus abouti aussi ; comme si Paul, John, George et Ringo, aidés par leur producteur George Martin, avaient pour la dernière fois mis leurs capacités artistiques dans un même moule, en créant la dernière symphonie de leur ère créatrice et féconde (si j'y vais trop fort surtout dites-le moi).

Résultat ? Abbey Road, un chef d'œuvre unique de cohérence et de pureté, dix-sept chansons indissociables les unes des autres tant l'album compose un tout du début à la fin ; entremêlant bouts de refrains inachevés et rengaines inoubliables, harmonies vocales et instrumentales, mélodies insondables et ritournelles entêtantes, blues intemporels et rocks décadents, il annonce l'éclosion des talents à venir en même temps qu'il fixe à la musique moderne ses futures lignes de conduite. Abbey Road ? Le chant du cygne d'un groupe épuisé trouvant encore la force de signer la plus belle carte de visite de la pop-music. Abbey Road ? Un album sacré numéro un dès sa sortie, Come Together devenant illico l'hymne de la génération post-hippie. Fin de l'acte II, et bravo les gars.

Patatras : moins d'un an plus tard, les Fab Four annoncent qu'ils se séparent. La maison de disques est désespérée : les relations entre Paul et John sont devenues si exécrables qu'aucun ultime album n'est envisageable. Aucun ? Mais si, voyons : il reste ces bandes, vous vous souvenez ? Cet album, mis au rebut l'année d'avant… La maison de disques prend les choses en main. Pour ne pas faire les choses à moitié, elle convoque au chevet de ces bandes un certain Phil Spector, producteur américain célèbre pour son travail avec les Ronettes et Ike & Tina Turner. Le grand manitou (in American : the Big Boss) peut-il faire quelque chose de ces enregistrements dont on avait presque oublié l'existence ? La réponse est oui : et en avril 1970, l'album Let it be est dans les bacs.

Oui, vous avez bien lu : Let it be, rien que ça. Un disque avec des chansons comme Get Back, Let it be, Across the Universe, etc. Toutes ces petites merveilles, toutes ces chansons extraordinaires en soi, considérées quinze mois plus tôt par leurs auteurs comme des chutes de studio indignes d'être publiées en leur nom. Non mais, vous vous rendez compte ?

Il y a un épilogue à cette histoire. L'an dernier, après avoir revu et surtout corrigé le travail de Phil Spector, accusé d'avoir ajouté de ci, de là quelques violons trop sirupeux, Paul McCartney a ressorti Let it be dans une version se voulant plus proche de la version originelle. Vous en avez tous entendu parler : la nouvelle version s'intitule Let it be… naked. Soit, trente-cinq ans après l'avoir commencée, un des principaux auteurs du disque livrant enfin la transcription définitive de son œuvre au public. Comme quoi, l'art et les artistes n'ont décidément pas la même échelle du temps que nous, pauvres humains. Fin de l'histoire.

Enfin bon, j'étais en train de me remémorer tout doucement cette histoire, et une foule d'anecdotes jaillissaient dans ma pauvre tête quand, soudain, Louloute a surgi comme une furie dans le salon. Rien qu'à apercevoir son visage défiguré par la colère, j'ai frémi.
– AÏE ! je me suis dit.




(photos X)

5 PETIT(S) COMPRIMÉ(S):

Anonymous Anonyme a écrit...

génial , excellent
évidement c'est le meilleur

bisous toi

http://facettes.canalblog.com/

3/2/05 9:25 AM  
Anonymous Anonyme a écrit...

Fichtre, je viens d'apprendre plein de truc en plus !
'ci m'dame !

3/2/05 1:31 PM  
Anonymous Anonyme a écrit...

Ouah, moi les Beatles j'addooooore, j'ai l'album bleu, le rouge, le blanc, le noir et les dernières compil avec des extraits d'inédits et fonds de studio d'enregistrement..... C'est mon enfance, mon adolescence, mon adultescence.....

Kiss Rainette !

3/2/05 8:58 PM  
Anonymous Anonyme a écrit...

Révolution...Part One !! Alors tu penses vraiment que ce n'est qu'un début ? Tu préfigures l'existence d'une Part Two et pourquoi pas Three ? Aie aie aie, bon courage !

Cela dit, moi c'est les Beach Boys qui résonnent plus. J'avais un ami qui n'arretait pas de passer ses cassettes en boucle dans la voiture qui nous amenait à la plage. Pour les Beattles, j'ai toujours une image dans mon esprit qui revient : une pochette d'album où sur la face A on les voit passer la tête par une cage d'escalier et face B même photos mais barbus je crois ;-)

5/2/05 9:47 AM  
Anonymous Anonyme a écrit...

Excellent article. Les mots tombent en pluie dans un gobelet en carton, alors forcement il en tombe beaucoup a cote - surtout a l'echelle de l'univers. Mais la fraction infinitesimale qui est tombee dedans, c'est si peu pour l'artiste qui voit l'averse, mais ca suffit a desalterer des millions. Ca m'a toujours epate.

15/2/05 7:43 PM  

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