28.12.04

Magnolia for ever.

Si je devais remplir un questionnaire me demandant de préciser mes trois films préférés, je serais bien en peine d'indiquer les deux derniers. Pour le premier par contre, j'ai moins de souci. Surtout après avoir revu Magnolia avec Sylvie.

Par pitié, ne venez pas me parler de film culte. N’aurait-on plus, aujourd’hui, que ce mot-là à la bouche, au point de l’accommoder à toutes les sauces ? Il y a seulement quelques années, on parlait d'auteur culte, d'écrivain culte, de chanteur culte ; aujourd'hui, par quel curieux glissement sémantique ce qualificatif largement galvaudé est-il désormais moins attaché à l'artiste qu'à une partie parfois infime de son œuvre ?

Excusez-moi. J’aimerais vous dire ces choses-là gentiment, mais ce mot fait remonter dans ma pauvre tête une foule de souvenirs, au premier rang desquels ma carrière ratée de chroniqueuse de cinéma me tient lieu de vade-mecum.

Figurez-vous qu’en des temps pas si éloignés que ça, lorsque je poursuivais quelques vaines études, j'ai partagé un temps la vie d'un cinéphile assidu qui ne jurait que par Les Cahiers du Cinéma ; si je n'entrerai pas dans les détails d'une relation somme toute insignifiante, laissez-moi au moins vous dire jusqu’où son goût de la formule le conduisit. Au sein de notre petite bande d'étudiants désœuvrés, abonnés comme de vrais pros aux salles obscures de la rue de Béthune, je passais pour celle qui ne soufflait jamais dans le sens du vent ; côté commentaires, je préférais alors nettement la colère à la subtilité (je ne suis pas sûre d’avoir beaucoup évolué depuis, hélas). C'est sûr, avec un ton pareil ma chronique hebdo était promise à un bel avenir… si le cinéphile en question, ci-devant responsable de l'émission, ne m’avait assez déplaisamment tirée hors du studio sitôt terminée la numéro 2.
– Ecoute, il a dit d'une voix sifflante en serrant mon écharpe dans sa main. Dans MON émission, on ne dit jamais du mal des films, tu saisis ?
– Arrghh, j’ai articulé.
– Le film que tu viens de massacrer, là… Quand je pense que t'as osé dire que... Que Godard était un RINGARD ! Jean-Luc Godard ! Sache que, contrairement à ce que tu as pu dire, son dernier film est un film... encore plus culte que culte, tu m'entends ? Alors, soit tu retournes t’excuser à l’antenne, soit tu dégages – d’accord ?

Dans le ressentiment qui me revient quelquefois au souvenir de l’incident, je m’imagine le même, assoupi dans le confort replet de sa suffisance, applaudissant à tout rompre la Fanny Ardant et moi de Vincent Delerm. Une chanson culte, à n'en pas douter.

De la même manière, mettons de côté la soi-disant performance réalisée par Tom Cruise. Ce personnage de gourou monomaniaque prodiguant des conférences destinées à éradiquer le féminisme (ha ha) devant des auditoires d'hommes frustrés est à mes yeux tout sauf un rôle de composition. Au risque de passer pour une odieuse rabat-joie, m'autorisez-vous à rappeler ici que l'ex-mari de Nicole Kidman est, à Hollywood, l'un des plus dévoués ambassadeurs de l'Eglise de Scientologie ? Dans son repaire sectaire, le beau Tom n’était-il pas finalement à bonne école ?

Ne me fâchez pas non plus en évoquant la galerie extraordinaire des personnages du film. Car enfin, que voit-on dans Magnolia ? Des vieillards coupables des pires méfaits (abandon de famille, viols, etc) en quête d'absolution, des policiers et des infirmiers tenaillés par l'envie quasi servile de faire le bien et – c'est ça le plus minant je trouve – des femmes toutes exclusivement dépressives. Bon, après tout pourquoi pas, mais pourquoi surligner cet état de fait en les faisant éclater en sanglots pour un oui ou pour un non ? Stoppant d'autorité le DVD, je mis un point d'honneur à expliquer ça à Sylvie. Est-ce que je passe mon temps à pleurer moi ? Est-ce que j'élève une voix criarde à la moindre contrariété ?
– La dernière fois que j'ai chialé, lui mis-je les points sur les i, c'est quand ils ont privatisé EDF. C'est te dire si ça m'arrive souvent !

Croyez-le : dans ce continent sombre, il est des abattements plus souterrains, moins perceptibles mais certainement pas moins violents. Immergée en des territoires enfouis au plus profond de vous, une dépression c'est comme un iceberg ; vous, vous n'en voyez que la pointe, et encore – pas toujours.

Au moins me direz-vous, le réalisateur n'a pas sacrifié au happy end de rigueur – ah oui ? Mais n’a-t-il pas suffisamment recouvert les relations entre les personnages d'une sorte de compassion dégoulinante de sentimentalisme, et d’un moralisme qui vous effraierait les jeunes élèves d'un petit séminaire ? Oui d'accord, j’exagère sans doute un peu. Mais il faut vous y faire : Magnolia est d’abord un film hollywoodien, dans toute l’acception du terme.

De Magnolia moi je retiens : le début – ces trois petites saynètes dopées aux amphétamines, débitées à la vitesse de l'éclair sur le ton des actualités d'avant-guerre, le milieu – quand les comédiens chantonnent ensemble la même chanson, et la fin – quand, toutes les pièces assemblées, une pluie de grenouilles vient rafraîchir le puzzle reconstitué (même si je ne peux m’empêcher de voir dans cette construction surtout la patte d’un monteur roublard). Le début, le milieu, la fin, et cette façon lente et majestueuse dont le temps s'écoule (trois heures, tout de même). Mais j'aime ça, j'aime vraiment ça quand un conteur prend son temps pour nous planter le décor de son histoire... Et puis, dernière chose, sans doute la première qui vaille à ce film d’être inscrit dans mon Panthéon personnel : la B.O. d’Aimee Mann – dont, fait exprès, la chanson la plus belle s’intitule Save me. Tout un programme.

"You look like a perfect fit / For a girl in need of a tourniquet / But can you save me ? / Come on and save me / If you could save me / From the ranks of the freaks / Who suspect they could never love anyone…”. Voilà, c'était Anitta et sa chronique énervée du jour en direct de nos studios. Bonsoir à tous !




(photos X)

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