4.1.06

Ainsi soit je.

D'abord, ne m'en voulez pas d'être brève : sur la cérémonie elle-même, il n'y a pas grand-chose à dire, tant elle fut banale à pleurer et ressembla je suppose à n'importe quelle communion solennelle. Nul fou-rire ne saisit les participants, nul bégaiement ne troubla le discours des orateurs, nul éclat intempestif ne vint galvauder son déroulement. Si j'osais, je dirais : R.A.S., mes biens chers frères…

Ma foi : d'après les grandes du collège, remonter l'allée centrale de l'église un cierge à la main, et recevoir sur la langue ce morceau du corps de Jésus… possédait les allures d'un accomplissement que pas grand chose n'égalait (hors l'amour, peut-être, mais c'était un thème de conversation que les grandes n'abordaient pas souvent avec nous). Fallait-il les croire ? Nous ne nous sommes pas posées la question : nous les avons crues.

Plus que le désir de m'accomplir, c'était celui de me distinguer qui m'animait. Il faut préciser que les espaces étaient plutôt minces : artistiquement j'étais nulle (et puis, Béa ne faisait-elle pas déjà de la danse ?), intellectuellement j'étais bonne élève mais sans plus (je vous dis ça sans aucune arrogance, croyez bien), et politiquement, tout le flanc gauche de mon horizon était déjà occupé. A 13 ans, vous n'auriez tout de même pas voulu que je me mette au sport, ou que j'adhère au Mouvement des Jeunes Giscardiens, non ?

Bref, il ne me restait pas grand chose pour manifester mon niveau de conscience. D'où, un beau matin, l'idée saugrenue qui nous vint, à Béa et moi, comme l'Esprit Saint sauta aux visages des apôtres : revêtir l'aube blanche – intégrer le Grand Troupeau.

Bon, quand je dis "nous", j'exagère : ce forfait, je ne peux même pas me vanter d'avoir poussé Béa à l'accomplir avec moi. A l'époque, ne filait-elle pas le parfait amour avec un certain Bruno, dont le principal titre de gloire était d'être enfant de chœur, le dimanche à la messe ? Alors, vous pensez bien qu'elle n'avait pas besoin de moi pour accourir, le mardi après la classe, aux cours de catéchisme que dispensait, dans une salle du collège, le Père Bernard à une poignée de brebis égarées dans notre genre.

Je vous le demande : fallait-il qu'on soit si sottes ? Aujourd'hui, si vous saviez comme j'ai honte de cette cérémonie, et du cortège de simagrées qui l'accompagna ! Car mon entrée dans le Royaume des Cieux ne fut pas seulement mesquine : elle fut, du début à la fin, empreinte de fausseté. Dans un univers compassionnel sensé nous enseigner les vertus de la bonté, de la franchise, de l'amour entre prochains… j'ai été malhonnête, j'ai appris la dissimulation, je me suis presque battue avec le garçon qui devait défiler à mes côtés, et surtout, je n'ai jamais autant raconté de mensonges que durant cette période.

Mais bon Dieu ! Qu'y pouvais-je, moi, si je ne commettais pas ces péchés que la morale réprouve autant qu'elle les prête aux filles de mon âge ? Non, je n'étais traversée par nul désir, nulle envie, et nulle concupiscence ne déformait mes traits, le soir avant de me coucher… Je n'étais certainement pas blanc-bleue, mais plus on me questionnait, et moins je voyais ce dont il s'agissait. Quand bien même les simples d'esprit se voyaient réserver un aller direct pour le Paradis, ce dialogue de sourds me tapait singulièrement sur le Carmel. Alors, devant ce cas de conscience, j'ai fait comme les copines : des péchés, je m'en suis inventé. A la pelle. Plein.

Oui mon Père j'ai fauté, j'ai eu des pensées impures, je n'ai pas été gentille avec mes parents (non, là c'est un mauvais exemple)… Ma litanie n'avait pas de fin. Et plus j'en ajoutais, plus je voyais la mine du Père Bernard s'allonger et ses mains se tordre. Aujourd'hui, je suis tentée de m'en moquer, mais le fait est qu'il priait sincèrement pour notre salut. Déjà que nos parents étaient communistes !

Nos parents, parlons-en. De cette foi nouvelle ils furent réellement surpris, peut-être choqués, sans doute déçus, mais n'en laissèrent (presque) rien paraître : au fond, ils n'étaient pas sectaires. Certes, nous eûmes quelques conversations animées, mais j'ai toujours pensé que mon père se disait que cette lubie nous passerait, qu'elle partirait avec la marée – ce en quoi il n'avait pas tort. Quant à ma mère, doutant jusqu'au bout de ma sincérité, elle me faisait les gros yeux quand je revenais des cours d'éducation religieuse, mais désormais j'avais la parade : je levais les miens au Ciel.
– Seigneur, pardonne-lui, elle ne sait pas ce qu'elle dit, je faisais quand elle me questionnait sur la ferveur de mon engagement.

Et – maigre consolation – elle éclatait de rire.

Deux mots, en passant, sur le Père Bernard (Dieu ait son âme). Bien que récemment arrivé dans notre village, il était parfaitement au fait des forces en présence autour de la mairie, dirigée par un camarade de mon père (mais pas de la même cellule). A la danse où j'accompagnais Béa, les mamans parlaient de lui en chuchotant, le décrivant comme jeune, et plutôt beau. Pouah, les menteuses ! Le Père Bernard était un vieux : il avait au moins 40 ans.

Cela dit, il n'était pas de taille à jouer les Don Camillo. N'étant pas très au fait des stratégies managériales de la Très Sainte Eglise Catholique, j'ignore si on l'envoya en nos rudes contrées pour qu'il s'aguerrisse, ou s'il s'agissait du parcours ordinaire d'un ordonné de fraîche date. Je pense qu'il devait se voir en père missionnaire, sur une terre d'évangilisation. Mais face aux hommes vigoureux, au teint rougeaud et aux mains calleuses, qui lui faisaient face, son profil élancé, ses mains fines et sa naïveté lui donnaient plutôt l'air d'un ravi de la crèche (je dis ça sans méchanceté). Ce n'était pas un curé : c'était Tintin chez les Tupamaros.

Un an d'efforts fut nécessaire pour parvenir au Graal et encore, sa bienveillance nous épargna quelques étapes. Si j'avais passé mes examens comme ma cathéchèse, aujourd'hui je serais Ministre de l'Education nationale ! Rattrapant notre retard théologique plus vite que Bethsabée succombant à David, nous partîmes enfin en retraite : deux jours dans un vague internat à quelques kilomètres de là. Quand j'annonçai à ma mère qu'il lui faudrait venir nous chercher, elle se contenta d'un :
– Seigneur ! Pardonne-leur, elles ne savent pas ce qu'elles font…!

Et là je n'ai pas ri du tout.

Enfin, le jour J arriva. Oh, qu'elles étaient jolies, les deux frangines dans leur belle aube blanche… Evidemment, mon père s'est trouvé une bonne excuse pour ne pas assister à la messe : c'est donc ma mère qui nous accompagna. Oui, périsse le jour où je suis née : j'ai traîné ma mère à la messe. Dans un habit du dimanche qui devait lui valoir nombre de regards pétrifiés : une robe noire surmontée d'un petit chemisier d'un rouge éclatant (quand on s'appelle Denise D., on ne se refait pas, mes camarades).

Et là, alors que je remontais l'allée à côté du petit abruti qu'on m'avait adjoint, là il s'est passé un truc étrange ; je me suis mise à avoir honte. La plus grande honte de toute ma courte vie. Honte de cette mascarade ridicule à laquelle je n'avais jamais cru. Honte de ma tenue blanche, honte de cette vengeance par procuration qui touchait mes parents sans doute plus qu'ils ne l'admettaient.

Quand nous sommes sorties de l'église, mon père nous attendait sur le parvis, un exemplaire de L'Huma-Dimanche ostensiblement posé sur la lunette arrière. Mais il fallut faire des clichés, et déjà le photographe installait son trépied ; sans se regarder, les deux filles n'insistèrent pas pour voir leurs parents poser avec elles.

Au grand dam des ripailleurs de notre parentèle, l'événement ne donna pas lieu à un grand festin – car n'eût-on pas risqué de voir, alors, la branche conservatrice tentée d'utiliser notre conversion pour humilier le versant progressiste de la famille ? Pour autant, à la maison, deux magnifiques vélos (commandés chez Manufrance à la CAMIF) attendaient gentiment les petites filles modèles.




Alors la petite communiante au sourire idiot s'est défroquée en un clin d'œil, elle a jeté son aube dans le bac à linge sale avec un vrai soupir ; l'après-midi de ce dimanche-là, elle l'a passée à faire des ronds autour de la maison avec ses sœurs, sous le regard de ses parents, et elle n'a jamais, plus jamais remis les pieds dans une église que contrainte et forcée.




(paintings Joan Miro)

8 PETIT(S) COMPRIMÉ(S):

Blogger Ally a écrit...

Ouh la rebelle !!! ;o)

4/1/06 8:03 AM  
Anonymous Anonyme a écrit...

A quoi tient la foi, quand même !!

4/1/06 11:15 AM  
Blogger Claire IWirth a écrit...

Hé bé... moi ce que je vois c'est ta conscience sur le qui-vive le jour dit.
A balayé d'une main le voile de Dokos...
Mazette... respect.

4/1/06 12:12 PM  
Anonymous Anonyme a écrit...

Autant je suis presque inculte en matière de musique et de chanteurs/euses de notre belle jeunesse, Anitta, autant je m'y connais en rituels catho! J'ai coché toutes les cases! Et oui, je confirme pour la confirmation. Et non, mes enfants ne sont pas baptisés.

4/1/06 4:44 PM  
Anonymous Anonyme a écrit...

Après les fêtes, une vraie crise de foi !
Ben dis donc, encore que ça aurait pu être pire.

4/1/06 7:15 PM  
Blogger Claire IWirth a écrit...

Je disais qu'il faut une certaine prise de conscience même simple pour s'apercevoir... des choses telles qu'elles sont... c'est toujours bon.

4/1/06 10:23 PM  
Blogger tirui a écrit...

Anitta ministre de l'éducation nationale, quelle belle et bonne idée !

où qu'elle est, l'urne où qu'il faut voter ?

5/1/06 12:33 AM  
Anonymous Anonyme a écrit...

Eh bé! Va falloir que je te reprenne en mains! D'autant qu'avec mon brevet d'instruction religieuse (obtenu à 13 ans, STP!)j'ai aptitude à faire la catéchèse: liturgie, évangiles y touti! Et puis officier croisé mon rôle n'est-il pas de bouter le vilain? Bon, où dois-je poser mes mains?
Pour commencer se sera sur tes épaules pour te donner un gros bisou.. d'un presque curé, défroqué!
Bonne année;.

5/1/06 12:25 PM  

<< Home