19.1.05

douce&tendre_59.

Je vous promets : faire ses courses avec Sylvie, ça n'a rien d'une sinécure.

Pour ne rien vous cacher, disons que si samedi je n'avais pas eu trois heures à perdre, c’eût bien été la dernière fois (in english : the last time) que je l’eussâsses accompagnée quelque part, voyez ? Parce que figurez-vous que :
1°) Madame part le nez en l'air, sans avoir dressé la moindre liste de ses commissions AVANT, et s'il y a bien une chose qui me fait honte dans les grands magasins c'est qu'on ne fasse pas au moins une petite liste avant, histoire de ne pas totalement passer pour des blairottes et se taper des kilomètres à travers les rayons ;
2°) Madame s'aperçoit sur le parking, oh quelle surprise, qu'elle n'a pas une seule de ces pièces, vous savez : celles qu'on glisse dans le caddie, et comme moi non plus (j'ai une excuse : ce n'étaient pas MES courses) nous inflige alors le partage d’un demi pas frais au comptoir d'une brasserie pas très fraîche non plus ;
3°) pour couronner le tout, après une cavalcade effectuée au mépris le plus profond des lois de l’orientation, Madame choisit justement LA caisse où deux abrutis, prétextant avoir oublié leur carte bleue, abandonneront un chariot entier sur le tapis, faisant poireauter la file trente-cinq minutes supplémentaires ;
4°) Résultat ? Un caddie plié en deux, une voiture éraflée, une bonne dose de patience, une bonne dose d'énervement aussi, le tout pour 230 euros (eh oui, c'est aussi ça, la vie Auchan…).

Vous je sais pas, mais moi, devant cette série de catastrophes, je ne grommelle qu'une chose : bonjour les courses !

Moi, faut pas m'en vouloir : depuis que j'ai l'âge pour, je ne connais pas de pire corvée que faire les courses – à part faire celles des autres, évidemment. Et quand je dis courses, je me comprends : autant deux heures de shopping dans les boutiques me mettent en transe, autant pousser mon caddie dans la cohue, pouah ! Est-ce ma faute si, à chaque fois que je déménage, je n’ai de cesse de connaître le chemin le plus rapide pour aller à l’hyper le plus proche, manière d’en revenir au plus vite ? Est-ce ma faute si, pour gagner encore plus de temps, je retranscris avec un soin maniaque tout ce qui manque chez moi dans L'ORDRE EXACT DES RAYONS de mon supermarché ?

En vacances, c'est l'horreur : le temps de repérer l’itinéraire, la façon dont les marchandises sont rangées, les heures où il y a le moins de monde, bien souvent il est déjà temps de repartir. Alors après, si vous venez me demander la direction de la plage ou les pistes de ski les plus proches… Remarquez je dis ça, mais nous on a résolu le problème : mon mari et moi ça doit bien faire dix ans qu'on ne part plus en vacances.

C'est sûr, tout le monde n'est pas aussi tordu que moi ; n'empêche que ma Sylvie on dirait qu'il n'y a rien qui lui convienne plus que musarder au milieu des bacs à primeurs, faire du lèche-vitrines au rayon charcuterie ou devant les pots pour bébé. Si encore elle était enceinte ! Ce qui me sidère, c'est qu'on dirait toujours qu'elle découvre que son frigo est vide en arrivant devant les étagères.
Elle (poussant un cri d’exclamation) :
– Oh regarde ! Du beurre !
Moi (échappant un soupir blasé) :
– Ben oui du beurre ! On est dans les produits laitiers là. Qu'est-ce que tu voulais ? Une paire de chaussures ?
Elle (insistante) :
– Non, mais ça me fait penser que j'en ai plus à la maison !
Moi (ébaubie) :
– Quoi, t'as plus de beurre et tu l'as même pas noté sur ta liste ?
Elle (toute guillerette) :
– Quelle liste ? On a bien fait de passer par là, hein ?!?
Moi (carrément bougonne) :
– Mais ça fait TROIS fois qu'on passe par là !
Elle (surprise) :
– Mais qu'est-ce t'as, on dirait que t’es énervée…?
Moi (brisant en deux mon stylo-bille dans ma poche) :
– Naaaan… Penses-tu !
Elle (voulant en avoir le cœur net) :
– Regarde-moi voir, là ? Dans les yeux…
Moi (abandonnant toute mauvaise humeur) :
– Mais non, j’te jure !
Elle (changeant de rayon) :
– Oh t'as vu la robe ?
Moi (examinant l’étiquette) :
– Dis, t'as vu le prix ? C'est pas pour nous, ça !
Elle (blagueuse) :
– Mmm… Moi je te verrais bien là-dedans, quand même…
Moi (sérieuse comme un Pape) :
– Pfffiouu ! Même pour Carnaval j'en voudrais pas pour mon mari !

Faut bien lui reconnaître ça : elle est belle, ma copine Sylvie. Sous une chevelure d’un roux magnifique, elle affiche une quarantaine avenante – et ici ou là peut-être, quelques rondeurs trahissant un style de vie un peu trop sédentaire. Elle possède une voix chaude que le tabac éraille, un rire grimpant comme un coureur cycliste dans les tons rauques, et une humeur toujours joviale et délurée – que zèbrent de temps en temps de courts éclairs de mélancolie.

Née à Fort-Synthe, elle en est partie très tôt pour d’infructueuses études dans notre capitale ; revenue s’établir ici voici vingt ans, elle rencontra Alain, contremaître des chantiers navals, l'épousa sur le champ et lui fit deux beaux enfants. Las, quand il les a quittés tous les trois, à la fermeture des chantiers, pour s'installer dans le Sud, elle a repris des cours du soir, option sténo-dactylo-compta, et trouvé ce boulot de secrétaire sur le port. Retraités des aciéries de la façade ouest, ses parents sont installés en Belgique, où elle va les voir chaque dimanche.

Deux trois après-midis avec Jérémy et Audrey ont suffi pour qu'on sympathise ; ce qu'elle prenait chez moi pour de l'arrogance n'était que de la timidité, et ce que j'avais entrevu de sa rusticité s'était très vite estompé. Plus que tout, elle était chaleureuse, dans la franchise comme dans le franc-parler : le jour où j’ai dû coucher ses gamins dans la chambre d’amis vu qu’à 21h elle n'était pas rentrée de sa séance au cinéma (une histoire de voiture en panne, comme souvent avec elle) confuse et essoufflée elle m'avait raconté ses leçons de piano intensif chez Mystic® sans plus que je la questionne que ça.
– Dans le fond, moi je suis une accidentée de l'amour, avait-elle ajouté. Mais je crois bien que j'y croirai toujours !


Le soir même, après les avoir raccompagnés chez elle j'en avais parlé à Franck – et, en même temps que je lui parlais, moi dans ma petite tête, je me disais : tiens, et si on lui présentait…
– En fait, c'est quoi, ton histoire de réveillon ? me fait-elle d’une voix inquiète tandis qu’on rentre.
Et comme je lui explique :
– Et… C'est qui ce Thierry ?




(photos X)

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