11.10.05

De battre mon cœur s'est arrêté.

Je vous l'accorde, il m'arrive parfois de dépasser les bornes ; c'est dans ma nature, mettons. Bon, si vous voulez, je développerai ça une autre fois – ce jour-là, disons qu'avec Josiane j'ai dépassé les limites de la bienséance. Comment j'ai fait, c'est très simple : je l'ai gavée pis qu'une oie. Et une gaufre par ci, et une autre par là, et tu vas bien m'en goûter une avec du Nutella ? Tant et si bien qu'à la fin, dodelinant de la tête comme un culbuto sur son tabouret, elle ressemblait à un boa constrictor digérant un mouton.

Cependant, si j'avais escompté la faire taire, c'était macache et bois de l'eau ! Là d'où je vous parle, je suppute que même à l'article de la mort, une telle vipère trouverait encore la force de cracher son venin… Et que je te raconte la fausse couche de Machine, et que je te donne les détails les plus sordides du mariage raté (forcément raté : un mariage réussi n'avait strictement aucun intérêt pour elle) de Truc, et qu'on m'a dit que, et qu'il paraît que, ah et pis au fait t'as entendu que…?

Derrière ma pile de linge, je l'observais telle une bête curieuse. J'ai beau faire, parcourir Voici chez mon dentiste, regarder les gros titres des journaux chez mon buraliste, voire même, de temps en temps, risquer un œil sur le 20 heures de Claire Chazal, je n'ai jamais été attirée par les ragots : ils me passent au dessus de la tête à une altitude que vous n'imaginez même pas. Autant dire que j'avais beaucoup de mal à alimenter la conversation.

De toute façon, fallait pas chercher midi à quatre heures : de quoi pouviez-vous parler avec une telle marâtre ? Quand vous saviez que vos moindres paroles seraient répétées dans la ville entière avec un art de la déformation quasi professionnel ? Elle apprenait une chose sur vous, et c'était plus fort qu'elle : il fallait séance tenante qu'elle aille le répéter à quelqu'un, et peu lui importait qu'elle ne connaisse ce quelqu'un ni d'Eve ni d'Adam. Si elle avait su parler aux mouettes, je suis sûre qu'elle leur aurait confié ses perfidies. D'ailleurs, avec un caractère si peu ouvert à la franchise et l'amitié, elle devait sûrement parler aux mouettes.
– Oh hé ! Oh hé les mouettes ! Rendez-vous compte : Anitta, elle achète ses meubles chez Congo !

Je ne peux pas mieux vous dire : comme commère, Josiane c'était la capitaine des majorettes.

A peu près deux kilomètres avant qu'ils arrivent, on a entendu les hommes rentrer. Po-po-po po-po-po… Ah, c'était vraiment un bel engin ! Mais croyez-vous que ces deux zigotos seraient montés me délivrer de mon fardeau ? Leur arrivée a créé un attroupement aussi impressionnant qu'une bande un jour de Trois-Joyeuses ; fallait croire que le dimanche, les hommes du quartier se tenaient sur leur pas de porte à guetter ce qui se passait dans la rue.

C'est le moment qu'a choisi Christine pour émerger de sa léthargie.
– Je vais retirer de l'argent, elle a dit. Pour hier, m'a-t-elle cligné de l'œil. Tu peux me prêter la voiture ? Louloute, tu viens ?
– Tâche de les faire remonter, j'ai fait. Il reste des gaufres ! Encore une petite, Josiane ?
– Non non ! s'est empressée de répondre l'autre peste.
Me penchant vers ma sœur en lui donnant les clés :
– Tu sais, y-a rien qui presse… Tu nous rembourseras plus tard ! Et pis, Franck a dit ça comme ça… Je suis sûre qu'il n'y pense plus !
– Ah mais là, c'est juste un acompte hein, qu'elle a dit. Je vais vous donner 200 francs par mois, ça ne me pose aucun problème !

Le temps de calculer ce qu'il lui faudrait d'années pour atteindre le total, je suis passée sur le balcon les regarder partir. Evidemment, j'ai tout de suite entendu cette voix dans mon dos :
– Oh ben dis donc, il est drôlement petit ton balcon !
Je me suis retournée.
– Tu ne le diras pas aux mouettes, hein ?!?
– Quoi ? elle a fait.
– Non, rien, j'ai dit. Je plaisante !

Par quel mystère Thierry a convaincu Christine de monter sur la moto et, une fois qu'elle eût trouvé l'équilibre, de faire grimper Louloute derrière elle ? Et surtout, où était Franck au moment où Thierry a poussé l'accélérateur à fond, faisant vrombir le moteur en ricanant au milieu des voisins en survêtement ?

Je me permets de vous poser la question, parce que c'est comme ça que le drame est arrivé.

Est-ce ma sœur qui a enclenché une vitesse ? Est-ce Thierry qui l'a fait ? Comme un éclair de feu, la moto s'est soudain cabrée telle un cheval fou et est partie droit devant elle – heureusement, sans ses passagères : catapultée sur le sol, Louloute s'est retrouvée les fesses par terre, les mains à plat sur le bitume, pendant que sa tante effectuait un roulé-boulé à la Wonder-Woman sur le côté.

Il y eût un gros bruit de tôle froissée ; poursuivant sa course, la moto a heurté une des voitures garées sur le parking, escaladé le capot comme si elle voulait passer par-dessus et fracassé le pare-brise, dans une explosion de verre et de métal pilé.

De battre mon cœur s'est arrêté.
LOULOUTE ! j'ai hurlé.

Si ça n'avait tenu qu'à moi, j'aurais sauté d'un pas les trois étages ; mais qu'on me brûle en place publique si j'ai jamais descendu plus vite les escaliers !

Tout ça pour rien, je vous l'ai dit : nos deux demoiselles n'avaient pas la plus petite égratignure – seule Louloute garderait un petit bleu mal placé une dizaine de jours – et j'en serais quitte pour une sacrée frousse. Qui, je le reconnais, n'égalait qu'à grand peine celle de Thierry, qui s'était fait prêter la moto à l'œil pour le week-end.

Bon, c'était râpé pour le premier remboursement de ma sœur, on aurait dit. J'ai pris Louloute dans mes bras et je l'ai remontée dans l'appart', où je lui ai prodigué tout ce qu'une mère peut prodiguer dans ces coups de temps-là : à savoir, des kilomètres de bisous…

Je suis redescendue donner un coup de main au trio pour charger ce qui restait de la moto – deux roues, une fourche, un réservoir… Hé hé, je ne vais pas me faire que des amis, chez Kawhonzuki ! – sur une remorque prêtée par des voisins [Oui, M. le Commissaire : dans un moment d'inconscience, j'ai abandonné ma fille aux mains de la plus redoutable langue de vipère des Flandres. Ça n'a duré qu'un instant, mais quand j'y songe, rétrospectivement… Ça fout les pétiches !], que Franck a attaché à la voiture pendant que Thierry rédigeait le constat.


Une heure plus tard, quand Thierry et Josiane sont enfin partis, le fiel bavait littéralement des lèvres de ma copine.
– Ah ça ! a-t-elle rouspété en quittant les lieux. Elle est vraiment inconsciente, ta sœur !
Et j'étais tellement contente de la voir partir que je n'ai même pas songé à répliquer.
– Pfff ! Cheval hargneux fait table à part ! j'ai pensé en refermant la porte.




(photos X).

16 PETIT(S) COMPRIMÉ(S):

Blogger tirui a écrit...

bon je te le dis tout de suite comme ça on n'en parle plus, mais la photo de la mouette que tu nous as mises, ben c'est un goéland, à priori.
Mais tu es excusable tu n'es pas bretonne.
Et si ça se trouve Josiane parle aussi aux goélands.

11/10/05 8:58 AM  
Blogger tirui a écrit...

elle est trop, ta soeur, on a déjà du te le dire mais c'est un roman à elle toute seule :-)
si j'osais, je te mettrais des ptr (?), mdr et autres lol, mais ici c'est un blog qui savoure et exalte la langue française alors non. o:-)

"cheval hargneux fait table à part", je ne connaissais pas, je note, je m'en servirais peut-être sur mon blog, ou je la refilerai à ma belle-mère, vu qu'elle ne parle que par expressions toutes faites (à croire qu'on ne lui a pas appris à assembler toute seule un sujet, un verbe, un complément), et ça renouvellera agréablement son stock.

11/10/05 9:05 AM  
Blogger tirui a écrit...

après relecture il reste quelques mystères non éclaircis :

où était Franck en effet lors du démarrage en trombe de Christine ?

c'est quel jour de la semaine que tu fais des gaufres, que je passe te rendre visite ?

tu as crié seulement "louloute", est-ce à dire qu'il t'importait peu que Christine se fêle le coccyx ?
(je m'entraine à faire langue de vipère moi aussi)

pendant ton absence, Josiane a surement fouillé ton appartement, puis cuisiné louloutte lorsque tu la lui as confiée ? a-t-elle découvert des choses sur toi autres que tes meubles de chez Congo (les miens aussi , sauf ceux qui viennent de chez Gut) afin de les crier sur les toits de la petite ville de D. dès le lendemain ?

11/10/05 9:13 AM  
Blogger tirui a écrit...

je floode encore mieux que les spameurs us, j'espère que tu as remarqué ?

11/10/05 9:15 AM  
Anonymous Anonyme a écrit...

Comme Tirui j'adopte illico Cheval hargneux fait table à part. D'ailleurs Cheval Hargneux irait bien à un autre nuisible ;-)

11/10/05 9:44 AM  
Anonymous Anonyme a écrit...

tsss tsss Anitta ... les langues de vipère comme ça c'est trop rigolo à manipuler ... tu devrais essayer !!! ;-p

ben vi, la prochaine fois que tu la vois ou que tu lui parles, tu lui balances un gros bobard de chez bobard, du genre qu'elle pourra pas s'empêcher de répandre à la vitesse de la lumière ... mais aussi du genre facile à démonter ... et qui va lui péter au nez comme un vieil élastique
...
niark
;-))

11/10/05 9:51 AM  
Anonymous Anonyme a écrit...

Oui, mais dis donc, chère Anitta, as-tu vu comment tu lui donnes du grain à moudre ?

Alors que si tu l'avais enfermée dans une pièce capitonnée et découpée en morceaux, elle n'aurait rien eu à raconter !

11/10/05 10:17 AM  
Anonymous Anonyme a écrit...

roooooh punaisse une josiane , langue de vipère , encore une !

euh je serai du style à mel

répandre des trucs faux et l'arnaquer

siiiiiiii j'te promets c'est trésssssssss amusant !

sinon y' a un truc plus direct , une bonne paire de baffes

mais les relations vont en patir , j'te previens tout de suite !

;o)

11/10/05 10:27 AM  
Blogger Ally a écrit...

et Thierry ?! qu'est ce qui s'est passé pour lui quand il a dit au prêteur que la moto était en morceaux ? il s'est fait tabasser ? :D

11/10/05 11:32 AM  
Anonymous Anonyme a écrit...

mais j'ai cru que le balcon était petit - comment as-tu réussi à y caser un cheval?

ok je sors

11/10/05 7:01 PM  
Anonymous Anonyme a écrit...

Serais-je la seule "langue de pute" (expression usuelle locale) de cetta assemblée de blanches colombes goélanisées ?

(m'enfin, c'est la Josiane qui a flanqué la poisse au Thierry, non, sur ce coup ?)

11/10/05 7:59 PM  
Anonymous Anonyme a écrit...

Rien à voir, mais je trouve la phrase du titre (et donc du film) vraiment très belle...

11/10/05 8:00 PM  
Blogger Maurice a écrit...

Pour le volatile, il s'agit pour moi d'une mouette rieuse (Black-headed Gull ou encore d'une Larus Ridibundus donc de la famille des Laridés).

12/10/05 4:49 PM  
Anonymous Anonyme a écrit...

Ouf sauf pour la moto, tout va bien.
Quant à la Josy bon débarras non ?
C'est quand même généreux de lui avoir fait des gaufres, franchement elle ne les méritait pas du tout.
Je retiens moi aussi l'expression concernant le cheval hargneux.
Et je maintiens que dans le Nord vous savez vous occuper le dimanche ! Que d'animation !

12/10/05 7:59 PM  
Anonymous Anonyme a écrit...

Je veux pas chercher midi a 6 heures non plus, mais c'est toujours aussi bien ecrit ici.

p.s. elle est bien Josiane en majorette.

p.s.2: Alors comme ca t'aimes pas les ragots? On me la fait pas a moi! Non non non.

15/10/05 8:36 PM  
Anonymous Anonyme a écrit...

Des pensées en fleurs.

15/10/05 9:46 PM  

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