25.7.05

Les affranchies.

En sus d'un caractère âpre, Christine possède un foutu don pour la bagarre ; un trait de famille, assurément. Pour vous dire les choses comme elles sont, quand elle entre dans un bar ce n'est jamais pour sucer les glaçons. Etonnez-vous, après ça, qu'il ne lui ait suffi que de quelques semaines pour se mettre à dos tous les voisins de mon immeuble, ou qu'elle soit aujourd'hui encore brouillée à mort avec notre cousin de Londres…

C'est que, si je ne reviens pas sur les avantages que procure le fait d'avoir une sœur beaucoup plus jeune que soi, pour ce qui est du côté sombre il faut quand même ajouter que ces gourgandines ont bien souvent tendance à ne rien respecter de ce que la vie vous a appris, vous, à respecter. Franchement, nos voisins n'étaient pas si terribles : on pouvait dire qu'après l'accident de mes parents ils avaient plutôt tenté de nous réconforter. Mais le matin, on n'avait pas sitôt tourné le dos Franck et moi que Christine poussait le son de la chaîne au maximum, soi-disant pour mettre ma Louloute en condition avant de l’emmener à l’école.

Moi, je veux bien discuter avec qui veut des vertus éducatives du punk-rock ou du reggae ; mais à huit heures du matin, les mamies de mon HLM étaient beaucoup moins intéressées que moi pour savoir si Iggy était meilleur avec les Stooges ou si toute nouvelle forme de reggae était morte avec Bob Marley, ce genre de truc.

Et comme c’est à ma sœur qu'elles venaient se plaindre, je ne vous dis pas les mines de cent-vingt pieds de long que je croisais dans l'escalier en rentrant, je ne vous dis pas ces portes qui claquaient sur mon passage, je ne vous dis pas la manif que j'avais sous mes fenêtres dès que je feignais de jouer de l'accordéon sortir mon instrument de son étui…

Bon, toutes ces péripéties nous vaudraient une de ces après-midis dont le souvenir me fait encore frémir, mais je dois confesser qu'à sa manière, et plus d'une fois, je me suis conduite comme une parfaite écervelée à cette période.

Oui : dussé-je vous décevoir, aussi droite et bien élevée que j'étais, je me suis laissée entraîner dans le sillage de ma sœur sans plus que de remords ; avec elle j'ai foulé du pied quelques principes que je croyais acquis, et laissé tomber quelques-uns des oripeaux dont je parais mon existence jusque-là – avec cependant le sentiment précieux d'enlever enfin des œillères, de desserrer la poignée de frein. Maintenant, si durant ces deux ans je n'ai pas toujours mené ma vie avec les yeux en face des trous, mon mari mis à part qui aurait pu s'aviser de me dire quelque chose ? Mes parents étaient morts, et sans rentrer dans les détails disons que je n'étais pas encore prête à assumer tout ce que cette disparition signifiait.

Et les méchantes langues pourront toujours ergoter, comment expliquer que ce soit juste après que Christine soit partie que j'ai commencé à prendre mes comprimés et entrepris de résister à la tentation du psy ? N'a-t-elle pas agi sur moi comme un antidote aux chocs que nous venions d'encaisser ?

Ok, j'avoue qu'on a frôlé plusieurs fois la correctionnelle, que des bêtises on en a faites, et pas seulement les marchés sans patente ; oui je me suis fâchée moi aussi avec notre cousin d'Angleterre, oui j'ai participé à une soirée avec la mafia belge, oui j'ai failli être jetée en prison à Amsterdam (ça c'était plus tard). Oui, j'ai fait tout cela, mais… mais faut pas exagérer. Telle que je vous parle, je ne me suis jamais mise en marge de la loi.

Enfin disons… A chaque fois, j'ai un alibi en béton.

Je sais qu'on nous a mal jugées, qu'au village sans prétention on avait mauvaise réputation, mais allez, ne cherchez plus ma belle jeunesse, c'est avec Christine que je l'ai vue courir et s'envoler, et ça ne m'a pas attiré que des ennuis, ça non, des parties de rigolade et des heures à causer chiffon aussi.

D'avance, je renvoie tous les psy-quelque chose qui vous noieront notre mal sous leurs mots, disons pour faire simple qu'on s'était loupées plus jeunes et qu'on se rattrapait là, elle et moi soudain livrées à nous-mêmes on jouait les affranchies comme deux poules ayant trouvé un couteau.

Et pour finir, tout ce que je souhaite c'est que Franck n'ait pas trop souffert de cette période – tel que je le connais, il ne me l'avouera jamais. De nous deux, sa situation n'était pas la plus facile, mais pendant le séjour de Christine à la maison je dois reconnaître qu'il n'a manifesté qu'en de très rares occasions son agacement devant nos frasques – je ne voudrais pas verser dans l'auto-justification, mais n'est-ce pas la preuve, en définitive, que certaines limites ne furent jamais franchies ?

Evidemment, je vous mets de côté le soir où j'ai bien cru qu'il allait l'étrangler.




(photos X)

7 PETIT(S) COMPRIMÉ(S):

Anonymous Anonyme a écrit...

Eh ben dis donc ! Cette Anitta, alors !

Mais c'est vrai qu'après les catastrophes,les malheures-ondes de choc qui vous pulvérisent, il y a une sorte de pétage de plombs, parfois...

Je me souviens m'être fâchée avec une vraie amie (qui me prenait un peu trop pour Cendrillon), en être venue aux mains avec le mari d'une autre, avoir dit mes 4 vérités à tout un chacun, enfin m'être transformée, moi la raisonnable presque raisonneuse, en une furie sans concession, le tout sur fond de nuits blanches, fêtes délirantes et excès en tous genres.

C'est dire si ce billet me parle d'un temps sur lequel j'ai quand même tendance à jeter un voile pudique...

Bon été Anitta ! (c'est joli ces sons : bon-nété-anita, on dirait une langue des îles sous le vent)

25/7/05 12:58 PM  
Anonymous Anonyme a écrit...

"moi la raisonnable presque raisonneuse, en une furie sans concession, le tout sur fond de nuits blanches, fêtes délirantes et excès en tous genres."
Samantdi, faut pas rêver, qui va te croire ?

26/7/05 5:19 PM  
Blogger Ally a écrit...

J'savais bien que t'étais une rebelle ! :D
Bisous toi. :D

26/7/05 10:29 PM  
Anonymous Anonyme a écrit...

Les rebelles filles sont plutôt rares. Moi, enfant, je me suis contentée d'assister à celles de mes quatre frères, il y avait assez de quoi faire pour calmer les parents, les gendarmes et les voisins !
Je me suis laissée aller un peu ado, mais étant un peu froussarde je suis vite rentrée dans le rang !Mais je n'ai pas dit mon dernier mot encore !

27/7/05 1:54 PM  
Anonymous Anonyme a écrit...

Wendy a écrit : ""moi la raisonnable presque raisonneuse, en une furie sans concession, le tout sur fond de nuits blanches, fêtes délirantes et excès en tous genres."
Samantdi, faut pas rêver, qui va te croire ?"

Anitta, je suis bien repassée pour constater la fourberie de l'argentin!

Disons qu'au lieu de boire une verveine-menthe le soir, je buvais un coca et je ne fermais pas l'oeil avant 1heure du matin.

Tu vois, ce genre de délire, quoi !

28/7/05 10:35 AM  
Anonymous Anonyme a écrit...

Tu vois que j´avais raison Anitta, il n´y avait pas d´humour dans mes propos, juste une profonde connaissance des êtres...
Hahahaha

28/7/05 3:04 PM  
Anonymous Anonyme a écrit...

ça fait un peu nian nian mais je continue d'adorer ta façon de raconter sur le fil entre bonheur et malheur et j'admire ton recul sur la vie.
Bises.

12/8/05 10:59 AM  

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