8.5.05

Bleu comme l'enfer.

Franck était électricien – mais pas de ceux qui vous changent une ampoule les yeux fermés ou qui savent mieux que quiconque vous gonfler un devis rien qu'avec la main d'œuvre, hein ?!? Plutôt un pour qui se lever l'âme pour les autres tient de la mission sacrée – du sacerdoce. Et là, vous m'objecterez bien ce que vous voudrez, je doute fort qu'il s'agisse d'une espèce en voie de disparition.

Au fait ; est-il toujours entendu entre nous que ce qui suit ne sera pas toujours l’exact et pointilleux reflet de la vérité vraie ? Cette précaution prise, laissez-moi m'étendre un peu sur le drame qui survint vite entre Franck et moi. Figurez-vous que peu de temps après l’avoir rencontré, je découvris que mon fringant moustachu avait déjà deux maîtresses : sa moto… et son syndicat.

Je l'admets : des vingt ans qui suivirent, me faire une place entre les deux ne fut pas toujours tâche aisée, au point qu'il est parfois des jours noirs où je me demande si j'y suis jamais parvenue…

Ordoncques, si je devais m’accommoder très vite de la première de ses conquêtes, filant derrière mon homme à pleine vitesse pour contempler les côtes anglaises depuis nos belles falaises (avant de plus téméraires expéditions qu'il me faudra bien coucher ici un de ces jours), je mis davantage de temps à succomber à la seconde. J’étais vaccinée voyez-vous, et plutôt deux fois qu’une ; issue d’une famille où la politique était comme une seconde peau, j’avais assez soupé de ça à la maison – lui, militant politique, elle, féministe de toujours. Alors, reproduire ces soirées perdues où l'on ne sait plus lequel attend l'autre et le faire endurer à mon tour à une éventuelle descendance il n’était pas question une seconde, ok ? De là, je ne crois trahir personne en révélant que les premiers mois de notre couple furent pour moi un véritable enfer : en tout, j’ai bien dû faire trente fois mes valises – enfin, ma valise – pour, chaque fois, la défaire avec lui, mes larmes séchées par ses baisers et mes peurs éteintes par ses promesses.

C’est que, ma foi, partager la vie d’un militant social, attaché plus que tout à la fourniture au plus grand nombre de ce bien précieux qu’est l’énergie, même aux plus démunis, je dirais même : surtout aux plus démunis, quand tant de vautours rêvent de s’accaparer le magot et de vous pressurer davantage en criant "Liberté, liberté", est un combat incessant qu’il allait me falloir plusieurs années à assimiler, tant j'étais jeune, naïve, et pas idéaliste pour un franc. Carpe diem, telle se voulait ma devise. Entre nous, quand je me repenche sur ces années… Qu'est-ce que j'étais conne !

Sans oublier que, si mes petites affaires n'occupaient guère que quelques pauvres cartons, où donc aurais-je pu les entreposer ? Béa avait disparu de la circulation d'un coup et de toute façon j'estimais que nous n'avions rien à nous dire ; et le studio du garage fut loué sans attendre à celle qui me remplaça sitôt que j'eus fait mes adieux à la comptabilité analytique.

Mais il était dit quelque part que je saurais ouvrir les yeux et me mettre à mon tour à aimer le bleu ; il me fallut pour cela quelques discussions épiques avec les chaleureux collègues que Franck, par prosélytisme autant que par souci de ne pas m'abandonner, ramenait tantôt à la maison, tantôt m'invitait à rejoindre dans un bar ou un restaurant ; une galerie de gens simples aux yeux brillants, comme dévorés de l'intérieur par un feu qui avait nom service public – moins quelques opportunistes et plus rarement quelques femmes – mais pas une qui fut aussi belle que moi, hihi !

Bref, j'en pris peu à peu mon parti au fur et à mesure que je voyais en Franck une sorte de Dr Jivago consacrant sa vie aux autres ; et sa Lara se joignit sans hésiter au groupe quand, par un heureux concours de circonstances, elle entra à son tour, quelques années plus tard, dans la carrière (pfff !). Comme quoi finally (in english in the text), on n'échappe pas à son destin, et moi peut-être moins qu'une autre...

Au final, c'est certainement dans ces difficultés primitives que se forgea la longévité de notre couple ; aux raisons du cœur, nous ajoutâmes graduellement le cœur de raisons davantage politiques, reposant notamment sur le respect sourcilleux de l'indépendance de l'autre. Lui dans ses réunions, ses tracts et ses procès-verbaux ; moi, à l'époque, dans ma recherche éperdue d'un boulot, mon étude laborieuse de l’accordéon et l’aménagement quotidien de notre salle de bains appartement…

De tous les mois de cette grande et belle année 1985, celui de septembre fut sans conteste un des plus bouleversants de ma courte vie. D'abord, je quittai la maison Citroën (et, mis à part la ZX, je ne crois pas qu'elle s'en soit remise depuis) ; peu désireuse de vous mettre la larme à l'œil, je vous épargne la scène de ma démission du garage, tant elle fut déchirante vis-à-vis de ce couple qui avait si gentiment su me considérer comme une des leurs et m'accueillir comme leur propre fille. Je déménageai pour le deux-pièces près du port où nous allions camper de longs mois. Et je m’inscrivis au chômage.

Pour Thierry, vu l’état semi-comateux dans lequel sa rupture avec Béa l’avait mis, ses camarades parèrent au plus pressé. Toujours en septembre de cette année-là, un grand festival venait de voir le jour à l’autre bout de la France, créé par de jeunes électriciens mélomanes à l’esprit aventureux ; on installa notre ami dans le train réquisitionné pour l’occasion et on l’expédia là-bas. La tête d’affiche en était Charlélie Couture, mais s'il avait fallu compter sur lui pour nous l'apprendre, j'attendrais encore ! Le train n’avait pas quitté la gare qu’il était déjà plus saoul qu’un troufion libérable (enfin, j'imagine). D'après certains témoignages dignes de foi, il se mit là-bas dans un état que d’aucuns, dit-on, tentent depuis d’égaler à chaque édition. Mais sans succès, faut croire…

Et j'ai demandé à Franck de me faire un enfant.




(toiles Yves Klein)

7 PETIT(S) COMPRIMÉ(S):

Anonymous Anonyme a écrit...

Je connais Anitta, j'ai un spécimen à la maison !

8/5/05 3:13 PM  
Anonymous Anonyme a écrit...

J'ai pensé à toi aujourd'hui en regardant les 3 jours de Dunkerque.
Bonne semaine.

8/5/05 6:54 PM  
Anonymous Anonyme a écrit...

rires

c'est lumineux !

pourquoi je dis ça moi ?

ampoule electricien lumineux

bon je vais me recoucher ...

9/5/05 1:35 PM  
Anonymous Anonyme a écrit...

S’agit - il bien de Moustache Anitta ?
Pour moi . Comme vocations , j’ai eu à choisir entre prêtre et monteur électricien à l’ EDF.
Au Bon Dieu , vocation de ma mère , j’avais déjà beaucoup donné avant l’âge de 17 ans, j’ai donc choisi la vocation imposée par mon père .
Aussi qu’elle idée d’être aller m’essayer à un recrutement chez les bleus , qui étaient gris à l’époque , si je me souvient bien :

- « J’ ai discuté avec le directeur du collège .C’est mal payé mais plein d’ avantages à EDF. Ils ont des camps de toiles pour les vacances , des tarifs pour le charbon et l’ électricité . Question sécurité de l’emploi , imbattable. Si tu te maries, ils te donnent double salaire ( 500f+500f ; à l’ entreprise c’était 1000f tous les mois ) ; et puis , il y en a un qui travaille en l’air et huit qui le regardent au sol…» qu’ il m’ a dit.

À lui , ça lui faisait une bouche de moins sur cinq à nourrir.

Je ne regrette pas d’y être resté , parce que si vous voyez les vieux plein de santé que ça fait . Passer une partie de votre existence en hauteur dans le Mistral , que du bonheur …

Pardon Anitta, j’ étais parti pour faire mon Blog chez vous.
Dites nous un peu , comment sont les décharges électriques entre vos deux différences de potentiels .
Tout va très bien madame la Marquise , doppler et le reste . Je suivrai vos conseils, jusqu’en septembre .
Je vous embrasse .

9/5/05 7:50 PM  
Anonymous Anonyme a écrit...

Bonjour Anitta,

j'hésite à poster, tu ne vas plus me connaître après ça... ;-)
on dira qu'il se pourrait que peut-être je sois de l'autre côté de la barrière et que même c'est souvent moi qui suis séquestrée par les délégués syndicaux quand il faut un(e) séquestrable... ça ne m'empêche pas d'écouter et d'essayer de comprendre même quand je me fais traitée de tous les noms d'oiseaux (j'enrichie mon vocabulaire comme ça...), et en tout cas d'aimer toujours autant te lire, toi et ta sensibilité.
bisous

11/5/05 10:16 AM  
Anonymous Anonyme a écrit...

le nombre de fois où tu as fais tes valises me rassure - ta note tombe à pic

Bon et les marmots???

11/5/05 10:52 AM  
Anonymous Anonyme a écrit...

Ce que tu as vécu mérite la médaille de l'abnégation.
Toutes mes ficelles de caleçon.
Je pense que je n'aurai pas supporté.

Déjà que je me bouffe le nez avec ma belle-soeur à ce sujet...

Tu as mon respect le plus total.
Et une bise en passant.

11/5/05 5:27 PM  

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