17.8.06

Bonnie and Clyde (final 5).

(Une histoire pas pour les enfants)



..........B.O. : Mother Earth, by Memphis Slim (1950)
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De toute façon, ils pouvaient plus s'en sortir
Leur seule solution, c'était mourir….....
(Serge Gainsbourg)
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Five.
En un an, on est allé partout, du nord au sud, de l'est à l'ouest, bon sang, avez-vous vu, au loin, passer ce nuage de poussière ? C'était pas la tournée des grands ducs, non, encore moins celle des hôtels de luxe ; le plus souvent, on squattait des taudis poussiéreux, des meublés délavés ou des villas en ruines, toujours sur le qui-vive, la moindre douche vous ne pouvez pas savoir, la moindre douche était une vraie bénédiction. Oui, presque partout, des endroits pas croyables, la foule nous protège disait Bonnie, et pourquoi donc je l'aurais contrariée ? De toute façon, ça s'achevait toujours pareil, à un moment donné c'était fatal, l'un de nous se faisait repérer, plus souvent elle que moi d'ailleurs, je vous ai dit qu'elle était belle. A la fin, les bagages ne quittaient plus la voiture.

Avec le temps, je dois admettre qu'on était devenu plus exigeant. Fini le simili et les plaques de rouille : il nous fallait du cuir et de la stéréo. On a braqué des bagnoles pas possibles, comme si on avait chopé d'un coup la folie des grandeurs ; une fois, ça nous a même entraîné loin. Foutument loin, même.
– Bon, alors… On y va ?
– Chut !
– Mais quoi ?
– Tais-toi ! Regarde…

Je savais bien qu'un jour tout ça finirait mal, qu'on se retrouverait face à quelqu'un qui n'aurait pas peur de mourir, mieux, que l'idée transcenderait peut-être. Pas quelqu'un d'inconscient, non, plutôt un gars du genre lucide : quand on y réfléchit, la mort ça pouvait signifier la fin des emmerdes pour un paquet de gens – la fin de ces corvées civilisées, ces drôles de sourires à grimacer pour ceux qui vous détestent, ces embrassades à échanger avec des mains prêtes à vous poignarder dans le dos, ces humiliations quotidiennes, et je vous passe la bagnole, les traites à payer et le gazon à tondre, non non, me remerciez pas. Pour nous, ça voulait dire aussi la fin des hostilités, des cris et des coups de feu, la fin de cette galopade effrénée mais j'avais Bonnie avec moi, je vous l'ai dit, on pouvait PAS s'arrêter. Heureusement, les gars lucides ne couraient pas les rues, une chance je dirais, une espèce de sursis plutôt. S'il existait, j'étais sûr que ce gars-là me ressemblerait ; ça éliminait d'emblée tous les chasseurs de prime, tous ces vautours assoiffés de sang. Il aurait l'apparence d'un type normal et c'est justement ça qui nous perdra, cet éclair subit dans le regard et s'il dégainait le premier, je savais bien qu'un jour tout ça finirait mal.

Le vigile avait pas l'air aimable, nous celui d'un couple d'amoureux banal, deux amoureux qui s'en viennent admirer des merveilles qu'ils pourront jamais se payer, c'est à peine s'il a relevé les yeux. Je pouvais pas lui en vouloir, seulement les règles avaient changé, j'avais décidé que c'était terminé et ça faisait que commencer. J'ai toqué à sa vitre.
– Oui ? il a grommelé.
– Je voudrais voir le patron, j'ai demandé et au pétard que j'ai sorti de ma poche, j'ai vu l'étonnement et la peur danser dans ses yeux.

Le gars était déjà d'un certain âge, plus celui de se faire descendre pour les beaux yeux de son patron en tout cas ; sans protester il s'est laissé désarmer, baîllonner, ficeler, rouler dans un coin de sa guérite. Bonnie le tenait en respect tandis que je courais jusqu'au bureau vitré. Du pied, j'ai fait voler la porte en éclats.
– Mais qu'est-ce qui vous prend ?

Lui, comment dire ? J'ai tout de suite su que je serais jamais copain avec. Lui, il était petit, il avait les cheveux gominés et la raie sur le côté, il portait un costard trois-pièces avec la montre au gousset. Le regard fuyant et les mains blanches, il transpirait l'odeur du fric vite gagné, la sueur lui coulait sur le front, il était répugnant. Lui, je l'ai empoigné recto par le verso, je l'ai allongé par terre sans me retenir, j'ai plaqué le revolver contre sa tempe, là-bas Bonnie allait de l'une à l'autre en trottinant.
– Le coffre, j'ai fait.
– Là là là, il a chanté.
– On prend la noire, j'ai crié à Bonnie. Où sont les clefs ?
– Prends celle-là si tu veux, elle a répondu. Moi, je prends celle-ci.

Elle me montrait une décapotable blanche, un cabriolet insolent de fraîcheur, une voiture de jeunes mariés. J'ai jeté un coup d'œil de regret sur la grosse berline, puis je me suis souvenu qu'on était la veille de Noël. Notre anniversaire.
– D'accord, j'ai dit. Où sont les clefs ? j'ai redemandé.
– Là là là, a encore chanté le type.

Dans le coffre, il y avait cette mallette même pas fermée, remplie de fric comme j'en avais jamais vu, des liasses de biftons accrochés par centaines et alors, que des grosses coupures, en plus. J'ai pris le tout en vitesse, et j'ai déboulé dans le garage juste à temps pour voir ce flic crispé sur son flingue et Bonnie dans sa ligne de tir. J'ai hurlé comme un fou.
A PLAT VENTRE !

Elle n'a pas esquissé un geste. Tout doucement, elle s'est retournée vers moi, infiniment d'amour dans ses yeux clairs et les balles ont troué le silence, elles l'ont cueillie comme une fleur. Tout s'est mis à résonner dans le garage, PAN PAN, pan pan, pan pan… J'ai vu ses yeux se fermer, et elle a basculé en arrière, très lentement.

Alors j'ai plongé, et sans viser j'ai fait feu ; j'ai atteint le flic entre les deux yeux, comme un vrai Roi de la gâchette.

En me penchant sur Bonnie, j'ai vu ce petit ange s'envoler et là j'ai compris, j'ai compris. J'ai voulu caresser son visage une dernière fois, mais j'ai glissé sur la dalle – c'est ce qui m'a sauvé. Un peu plus un peu moins, et le mec du bureau m’alignait comme un lapin. Je me suis relevé, et j'ai vidé mon chargeur dans son costard trois-pièces. Je n'avais presque rien senti.

J'ai roulé tout le jour jusqu'au chalet. Je me sentais fatigué comme jamais, tous ces mois à courir, toutes ces nuits sans dormir qui me tombaient sur le rable d'un seul coup. Bonnie reposait sur le siège, les yeux clos elle semblait somnoler, un sourire sur les lèvres. J'ai garé la voiture devant l'entrée. Puis, je l'ai montée jusqu'à ce lit où elle m'avait soigné, ce grand lit blanc. Pour ça, j'ai mis un certain temps, j'avais perdu pas mal de sang, tout se troublait devant moi ; je crois que je pleurais, aussi. Après, j'ai été prendre une canette dans le frigo. Bien fraîche, la bière, bien fraîche. J'ai allumé une cigarette, le briquet je l'ai jeté sur les bidons, les flammes léchaient le plafond quand j'ai mis le contact.


C'était un soir exactement comme je les aime. Je filais vers la mer, l'autoroute était déserte, et n'était cette balle que j'avais dans le ventre, j'aurais presque cru à des vacances.


(the end)...

4 PETIT(S) COMPRIMÉ(S):

Anonymous Anonyme a écrit...

Et je suis resté éveillée...
Trop triste la fin de l'histoire.
Je reviendrai demain pour mieux la savourer. Bonne nuit.

17/8/06 12:12 AM  
Anonymous Anonyme a écrit...

Je suis sans voix...

17/8/06 10:58 AM  
Blogger tirui a écrit...

pourquoi c'est obligé que ça finisse toujours mal ?
moi je dis qu'ils sont plus malins, ces deux-là, ils ont pris le bateau à Dunkerque, se sont réfugiés au Canada dans un coin paumé où la plus proche ville est à 200 kms, ils ont pondu plein de gosses, Bonnie avait de la cellulite et Clyde une bedaine, ils avaient parfois la nostalgie de la côte d'azur, mais ils étaient vivants au moins.

17/8/06 5:32 PM  
Blogger Brigetoun a écrit...

oui mais ils n'avaient pas compté avec Interpool. Maintenant il n'est pas encore mort Clyde, il peut tomber sur une altruiste lui enlevant le balle avant de tomber sur un alltruiste prêt à se faire tuer pour le bien de la Société

17/8/06 6:41 PM  

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