13.4.05

One.

Bien. Voilà sans doute un billet qui n'intéressera personne, et je ne sais d'ailleurs pas pourquoi je ne passe pas directement au suivant, en vous priant juste d'attendre une dizaine de jours, le temps de récupérer l'usage exclusif de cet ordinateur auquel j'ai fini par m'attacher – et que je mets ces jours-ci à la disposition d'une jeune fille qui m'est chère et m'assure en avoir plus besoin que moi.

Mais je me dis néanmoins que, là où ils sont, Ted Bundy et ses collègues peuvent attendre, et que, dans les rares interstices de cette fastidieuse et oh combien passionnante recherche menée par ma fille sur quelques hommes remarquables de son univers, il est peut-être temps de vous présenter le mien…?

Bien sûr, il va me falloir prendre certaines précautions, travestir certains faits, bref vous demander de ne pas prendre tout ce qui suit au pied de la lettre ; figurez-vous que moi je suis du genre qui préfère se fâcher avec son patron plutôt qu'avec son syndicat, et avec son syndicat plutôt qu'avec son mari (même si ces deux dernières entités ont tendance, je dois l'avouer, à prendre souvent le même visage). Autant dire que, depuis que je rêvais d'écrire un conte pour enfants, cette petite récréation tombe à pic.

Alors, attachez vos ceintures, et tâchez d'oublier tout ce que vous avez lu jusqu'à présent : voici, mesdames-messieurs, la véritable histoire de ma rencontre avec le Prince charmant.

Plantons le décor, voulez-vous ? Ce jour-là, ma sœur et moi venons de déjeuner dans le studio que j'occupe au dessus d'un garage, situé dans la sous-préfecture d'un grand département français ; qui est aussi, là je vous aide, un des plus importants ports du pays. C'est le début d'après-midi d'un dimanche de mars, dehors Carnaval rassemble ses troupes ; il est dans les 14H30.

C'est l'heure que choisissent deux motos pétaradantes pour se garer sous la fenêtre ; en descendent Thierry, cheveux bouclés et queue de cheval, et Grand Brun, veste de cuir et regard sombre – le genre Peter Fonda dans Easy Rider. Là, à peine Thierry a-t-il franchi le seuil du studio (pour sa part, Grand Brun doit courber la tête pour passer sous la porte), que Béatrice lui saute au cou et se met à l'embrasser goulûment.

Une semaine qu'ils ne se sont pas vus, peut-être plus.

Le studio ? Un truc dans les 14 m² tout compris, vous voyez ? Lit-canapé, coin cuisine et salle de bains. Petite, la salle de bains – de toute façon, dans les appartements que Grand Brun et moi allons désormais partager, il est écrit que je n'hériterai plus que de minuscules réduits sanitaires – mais ne vous l'ai-je pas déjà dit ?

Bon, ça fait rien, passons.

Dans mon souvenir, c'est une belle journée ; Météo-France vous assurera peut-être que, ce jour-là, le froid vous fendait l'âme des honnêtes gens, pour moi il régnait une chaleur étouffante : de toute façon y-avait qu'à regarder ma sœur, toujours à bécoter Thierry, lui arracher de petits rires, le chatouiller le toucher lui parler dans l'oreille, ce qu'elle pouvait être démonstrative parfois ! Et ce jour-là ça ne manque pas : le café n'avait pas fondu leur sucre qu'ils partent tous les deux s'enfermer dans la salle de bains.

Il y a eu un grand vide dans le studio, tout à coup.

On s'est retrouvés tous les deux Grand Brun et moi, lui dépliant ses grandes jambes dans le vieux fauteuil en osier où il avait installé son corps de géant et moi touillant frénétiquement ma tasse ; on reste à se regarder, et la conversation s'engage, timidement. Mais pour moi c'est assez difficile d'enchaîner, parce que déjà tout me plait en lui ; qu'il lève un bras ou bouge une jambe, je trouve qu'il n'a que des gestes gracieux. Et pour me regarder de ces yeux…

A ce moment je suis juste la sœur de la copine de son meilleur ami, accessoirement aussi la maîtresse de maison, je lui ressers donc un café, tandis qu'à côté la douche se déclenche et qu'on entend des bruits qui très vite ne trompent personne sur ce qui se passe à trente centimètres de nous ; on entend les bouteilles de produits s'entrechoquer, les vêtements qui glissent, les corps qui s'agitent ; j'ai beau tapoter ma cuillère sur la tasse, on entend tout.

Ambiance.

Imperceptiblement, Grand Brun et moi on se parle de plus en plus fort, sans se quitter des yeux (mmmh) ; pour lui montrer combien j'ai de la conversation dans les moments difficiles, je me mets alors à lui vanter les mérites de la dernière Citroën, et lui le motard absolu fait semblant de me trouver passionnante.

Et puis arrive l'heure du départ, l'appel de la bande ; Thierry et Béa ressortent enfin de la salle de bains, et surprise, ils sont déguisés tous les deux : lui en Matante de comice agricole, elle en marquise du XVIème siècle ; et ils nous plantent là pour descendre, en nous criant de les rejoindre.

C'est alors qu'est venu l'instant que j'ai préféré – celui qui restera gravé dans ma tête jusqu'à ma dernière heure. Grand Brun s'est levé, et d'un geste que j'ai trouvé des plus élégant, il a enlevé soigneusement sa veste, son T-shirt, et son jean ; en petite tenue au milieu du studio, sans prononcer un mot mais avec un sourire que je n'oublierai jamais, il a sorti d'un sac un tas de vêtements duquel dépassaient une paire de bas et un tailleur, une perruque et des tubes de maquillage. Et, le plus tranquillement du monde, il s'est costumé en me réclamant une bière – quand je vous dis qu'il faisait chaud.

Voilà. Je m'arrête là : vous savez l'essentiel.

Il n'y a aucune morale à ce récit. Aujourd'hui, vingt ans plus tard, je persiste à penser que ma rencontre avec Grand Brun ressemble à celles de millions d'autres. C'est vrai, quoi : réalisez-vous qu'au moment où je vous parle, certains font la connaissance de leur Prince charmant dans la rue, dans un bar, sur leur lieu de travail ou sur internet, dans des circonstances peut-être encore bien plus romantiques et/ou rocambolesques que la mienne ?

Mais, cela dit, je n'ai rien à envier à quiconque ; moi, mon Prince charmant, je l'ai rencontré dans un petit studio près du port et, la première fois que j'ai posé la main sur lui, c'est quand je l'ai aidé à agrafer son soutien-gorge.




(photos X)

14 PETIT(S) COMPRIMÉ(S):

Anonymous Anonyme a écrit...

Quel suspense!!!!!!!!!!!
Que faire?
Où aller?
Où ne pas allet?
Comment dormir?
Maintenant que j'attends la suite...

13/4/05 9:37 PM  
Anonymous Anonyme a écrit...

Quoi? Le prince charmant existe?!

Et c'est maintenant que j'ai donne ma main a Archignac que tu me le dis?!

14/4/05 1:39 AM  
Anonymous Anonyme a écrit...

le pauvre prince charmant - il va se faire harceler dès le dévoilement du secret si bien gardé depuis des décennies

14/4/05 9:07 AM  
Anonymous Anonyme a écrit...

Le prince charmant est aux 35h et est en RTT actuellement.

(c'est une bonne excuse pour nous faire patienter)

14/4/05 11:26 AM  
Anonymous Anonyme a écrit...

Pfffff, je m'étais promis depuis hier soir de ne PAS aller ouvrir de blogs aujourd'hui parce que j'ai trop de travail et qu'est-ce que je fais là, hein?

(N'empêche, tu es carrément hyper-canon, Anitta, en wonder-héroïne à escarpins.)

(Euh, il n'est pas magicien, au moins, le prince charmant...?)

14/4/05 4:12 PM  
Blogger Maurice a écrit...

Bon c'est pas qu'on s'impatiente, mais on est loin du petit comprimé par jour et ce n'est pas recommandé de suspendre un traîtement sans l'avis du médecin.

14/4/05 11:21 PM  
Anonymous Anonyme a écrit...

Dix jours !!!!
Mis je serai en vacances dans dix jours... Et je pourrai pas lire...
Ah ! trop cruel !

sinon, Miss Testu était chez ruquier ce soir et j'ai beaucoup pensé à toi en la regardant (par contre, je n'ai pas pu l'écouter, j'étais trop loin)

14/4/05 11:24 PM  
Anonymous Anonyme a écrit...

Anne a raison.
Et tu pourrais même choisir pour titre la dernière phrase de ton mémorable post.
Anitta, je t'aime.

15/4/05 9:01 AM  
Anonymous Anonyme a écrit...

Je crois bien que Anne a raison : j'adore ton style.

15/4/05 9:07 AM  
Anonymous Anonyme a écrit...

J'appuie la supplication d'Anne et la propositions de Jujuly ... suis restée scotchée devant mon écran et j'en avais des remous dans le ventre ...
Pfffff trop trop trop ... scrogneugneu il n'existe pas de terme approprié pour décrire les sentiments m'envahissant lorsque je te lis

15/4/05 9:09 AM  
Anonymous Anonyme a écrit...

J'arrive un peu tard, mais comme j'ai aussi adoré cette note, je glisse un petit commentaire en passant. Je suis toujours impressionné par cette très jolie façon que tu as de nous plonger dans ton atmosphère en quelques secondes.

15/4/05 10:21 AM  
Blogger Maurice a écrit...

J'ai connu les mêmes affres lorsque j'avais à enfiler ma tenue "Spécial Mireille Darc dans son grand jour!" : perruque blonde coupe au carré, robe longue noire et échancrée dans le dos jusqu'au bas des reins (là s'arrête la comparaison) et rien moins qu'un bon 95 D-E. J'y arrivais seul après de nombreuses contorsions et plusieurs tentatives. Par contre pour le maquillage (outrancier) je n'ai jamais refusé l'aide de mains expertes...

15/4/05 10:51 AM  
Anonymous Anonyme a écrit...

C'est toujours un réel plaisir.
Ta dernière phrase, c'est vrai qu'elle est terrible, j'adore !

15/4/05 11:36 AM  
Anonymous Anonyme a écrit...

Merveilleuse note...
J'ai adore la fin.

Bravo Anitta.
p.s. reviens!

27/4/05 7:11 PM  

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