6.5.05

Baby can you light my fear ?

Je vous pose la question : avez-vous déjà ressenti la peur ? Celle qui vous tenaille et vous dévore, qui vous lessive et vous essore ?

Comprenez-moi bien. Je vous demande ça sans animosité ; en fait, j'aimerais savoir si quelqu'un pouvait me décrire ces jambes qui s'affaissent brutalement, cette respiration qui sprinte telle Marie-Jo Pérec sur la ligne, cet estomac qui grenouille façon tripes à la mode de Caen et ce troublant trou noir qui prend la place de votre cerveau. Je vous demande juste un petit effort ; trente secondes de concentration, là, maintenant, à blanc.

Au fond, c'est quoi, la peur ? Une émotion normale de l'organisme, dont le rôle est de nous protéger en plaçant notre corps en alerte, comme les médecins le prétendent ? Une demi-paralysie de l'âme, comme le dit Simone Weil (la philosophe, pas la ministre) ? Une sensation parfaitement subjective qui, selon les cas, nous protège ou nous sauve, nous ankylose ou nous inhibe ?

S'il faut en croire l'état des recherches scientifiques entreprises sur le sujet, une chose est sûre : quels que soient les individus et les circonstances, la peur est déclenchée par la perception que nous avons d’un danger proche. Emotion née de l'anticipation de ce qui pourrait survenir (accident, rupture, mort, maladie…), la peur, aussi désagréable soit-elle, est indispensable à la vie. Ce n'est pas pour rien si les animaux aussi l'éprouvent.

Mais attention : contrairement à une idée répandue, ce n’est pas ce qui se produit à l'instant présent qui représente un danger pour celui/celle qui a peur, mais ce que cette situation peut engendrer de potentiellement néfaste, dans une seconde, une heure, un jour, un mois – selon ce qu'il/elle en imagine, avec son système de valeurs et de pensées, son expérience de la vie quoi. En un mot, la vague qui s'échoue sur la plage, la voiture qui déboîte en face, la lame du parquet qui grince à l'étage ne traduisent pas forcément un danger… selon que vous êtes (ou non) surfeur émérite, pilote de course, ou en panne de cire depuis deux mois (eh oui).

Car on l'oublie trop souvent : l’imagination joue un rôle essentiel dans la perception qu'a chacun du danger. Doit-on forcément en conclure que les personnes dotées d'un tantinet plus d'imagination que les autres sont, du même coup, plus peureuses que les autres ? A mon sens, la question mérite d'être posée. Après tout, à partir de ces mêmes situations, une imagination trop fertile ne va-t-elle pas déclencher, chez certains, la peur d'être emporté par le reflux, heurté de plein fouet par la voiture en face, voire même, d'habiter une maison hantée…?

Certes, il faut se garder d'oublier l'effet salvateur que peut générer la peur – celle qui vous donne des ailes – quand elle vous amène, par exemple, tous sens en éveil, à observer ce qui se passe autour de vous sur la plage, où évidemment pas un baigneur ne s'affole, à rétrograder tranquillement en faisant un appel de phares et en lâchant une bordée de jurons, ou encore à inscrire la cire, liquide de préférence, en tête de votre prochaine liste de courses…

Plus sérieusement, saviez-vous que lorsque l'organisme perçoit un danger, il entre alors dans une phase de choc qui produit, par la stimulation des glandes surrénales, cette bouffée d’adrénaline qui agit sur le cœur, les vaisseaux et les muscles, pour déclencher la mise en action de notre corps ?

La réaction sera plus ou moins intense : les manifestations de la peur diffèrent totalement d’un individu à l’autre. Les battements du cœur s'accélérent, l’acuité mentale augmente, les graisses se décomposent pour fournir plus d’énergie... Dans le meilleur des cas, la peur nous met sous une tension positive qui renforce notre attention et notre concentration. A l’inverse, certains symptômes seront gênants, pour ne pas dire plus : douleurs abdominales, bouffées de chaleur, réactions épidermiques...

Par contre, c’est uniquement après, une fois le péril écarté, qu’on ressent l’intensité de ces effets physiologiques ; au moment où l’attention se relâche, où l'on prend conscience du danger auquel on a fait face, et où l'on entend ses genoux s'entrechoquer et son échine s'affadir.

Pour autant, à toute vie la peur est nécessaire, nous disent les savants ; bon gré mal gré, il faut apprendre à vivre avec. Un peu comme si, à l'inverse de l'adage qui prétend que la peur n'évite pas le danger, il n'y aurait pas pire danger que celui d'éviter la peur à tout prix. On permettra cependant à la profane que je suis de conseiller à tout un chacun d'y aller mollo – apprivoiser ses peurs n'est jamais mince affaire, même si je ne doute pas qu'un surcroît de liberté en constitue la récompense…


[Fin du chapitre Anitta ramène sa science]

Personnellement, si j'ai éprouvé ce qui ressemble à la peur devant la micheline de mon enfance, ce ne fut que rétrospectivement, après maintes recherches intérieures ; plus tard, j'ai ressenti une peur foudroyante lorsque j'ai reçu le coup de fil m'annonçant l'accident de mes parents, mais il était trop tard, tout était fini ; par ailleurs, sans beaucoup d'efforts je me souviens de frayeurs, de craintes, d'instants de pure panique… Mais j'ai beau chercher et chercher encore, je n'ai jamais eu aussi peur que lorsque Vincent a débarqué parmi nous à la ferme.


Qu'il se pointe l'air de rien était déjà navrant, qu'il ait choisi pour ça un soir où Thierry était absent était plus inquiétant. Le loup était dans la bergerie, et nous n'avions pas fini de pleurer les dégâts qu'il allait faire.

Huit jours plus tard, Béatrice quittait Thierry pour se remettre avec lui ; dès lors, elle n'a plus jamais remis les pieds à la ferme.






(illustrations Alexios Tjoyas)

12 PETIT(S) COMPRIMÉ(S):

Blogger Ally a écrit...

Oui oui dejà ressenti ce genre de peur !!!

6/5/05 1:31 AM  
Anonymous Anonyme a écrit...

ouh que oui, moi avec mes innombrables phobies et une vie plus que trépidante, ces peurs je les ais senties

6/5/05 9:16 AM  
Anonymous Anonyme a écrit...

Ben justement oui, pas plus tard qu'hier soir avec Eugénie, tiens !
Chute, choc, pleurs, je cours, je vole, je console, je touche du poisseux, argh, léger affolement, je l'emmène sur mon lit pour la consoler, je vois le sang à la tempe, et j'entends : "COmment je suis tombée, maman, je ne me souviens plus de rien ?". Je me dis normal, c'est le choc, tout ça. Elle repleure. Et 2 min plus tard, regarde ses pieds et arrête de pleurer le temps de demander : "Mais, d'où elles sortent, ces sandales ?".
Là, j'ai vraiment eu la peur dont tu parles. Celle qu'on a, pas pour soi mais pour son enfant.
Surtout quand elle a vomi après.
Bref.
Ça s'est terminé avec deux points de suture et un scanner rassurant (à confirmer néanmoins) (? gloups ?)
(Je me dis que ça doit aller quand même sinon ils l'auraient gardée aux urgences). Je ne suis pas encore complètement tranquille, elle est là derrière moi qui se repose et je suis une poule qui veille avec des yeux derrière la tête.
Bon week-end, Anitta.
(J'ai bien répondu à la question, hein, elle tombait à pic !)

6/5/05 12:05 PM  
Blogger Ally a écrit...

Alors oui y a une chose qui m'a déjà fait super super super peur ! J'étais petite, et un jour le film "Il est revenu", tiré du bouquin "Ca" de Stephen King est passé à la télé. Je devais avoir à peine 10ans et je l'ai regardé. Dedans il y a un clown horrible qui enlève et tue des enfants. Ce clown, j'en ai fait des cauchemars pendant des années tellement il m'a fait peur. J'étais paralysée ! J'avais regardé le film dans la chambre de mes parents, et pour aller me coucher dans la mienne, qui était juste en face de celle de mes parents, j'avais quasiment rien à traverser. Bah je voulais pas y aller ! J'etais tetanisée ! J'ai pleuré, hurlé et au final ma mère avait été obligée de me porter jusque dans mon lit. C'est le truc qui m'a fait le + peur dans ma vie ! Et encore maintenant, quand je le vois ce clown, j'en tremble ! C'est con hein ?:-)

7/5/05 1:43 AM  
Anonymous Anonyme a écrit...

oui.
En ce moment je survis la trouille au ventre.

Je me fais peur ...

Mistake

7/5/05 11:27 AM  
Anonymous Anonyme a écrit...

Une seule fois, lors d'un naufrage, paumée au milieu de l'océan Indien sans que personne ne sache où j'étais. Se voir mourir n'était rien à côté de la peur de ne plus pouvoir faire ce à quoi je tenais vraiment. Je suis rentrée à la nage. Au port :"vous avez eu de la chance, les derniers naufragés sont morts dévorés par les requins". Comment ça des requins ? Et voilà les jambes coupées nettes, les bras vidés de leur sang, le ventre qu'on me poignarde... J'oublierai jamais cet après-midi là. (raconté sur un ton plus léger alleurs mais le récit est trop long pour un comm).
Sourires pour adoucir ta peur à toi Anitta ;-)

7/5/05 11:33 AM  
Blogger Etolane a écrit...

Je l'ai rêvée la nuit dernière... :( Cela faisait bien longtemps que je n'avais pas ressenti quelque chose de la sorte...

7/5/05 8:26 PM  
Anonymous Anonyme a écrit...

La peur ? Oui. Quand on m'a transpercé le cœur avec des fils puis qu'on m'a irradié tout ça, alors que je regardais avec effroi un écran devant moi, comme si c'était un spectacle de mort annoncée. J'ai écrit un texte sur ça quelques temps après… je ne sais, si je pourrais un jour le publier sur mon carnet virtuel. Le lire c'est avoir peur à nouveau (parce que je sais très bien que ça va recommencer)

7/5/05 11:49 PM  
Blogger Ally a écrit...

Cool la partie scientifique ! Ca m'rappelle mes cours de licence...
Il a fait quoi comme dégâts Vincent ?

8/5/05 9:10 PM  
Anonymous Anonyme a écrit...

Très belle ta note - et mamma mia comme je me suis reconnue :-/
la partie humoristique de la fin allège ce texte très lourd de sens et qui t'a pris du temps et de la réflexion.
Merci pour ce billet

9/5/05 10:21 AM  
Anonymous Anonyme a écrit...

Ecrire autant et aussi bien n'est pas permis.

Ton art de la narration est épatant.
Et je ne rtrouve pas encore d'autres trucs gentils à dire mais j'en pense des tonnes.

9/5/05 4:19 PM  
Anonymous Anonyme a écrit...

La peur...
Personnellement, elle ne me brise pas les jambes. Elle me glace, il y a un froid qui m'envahit soudain et qui s'étand peu à peu dans tout le buste. J'ai réellement très froid.
Avant, ça m'arrivait souvant pour des oui ou des nons. des examens à passer, une discussion boulot. Il y a des mauvaises nouvelles que je sens avant qu'on me les dise. A chaque fois qu'on m'a annoncé mon licenciment, je l'ai su avant. Je regarde la personne et je sais. Alors j'ai peur pour rien parce que la mauvaise nouvelle, je la connais déjà.

J'ai eu très peur quand Garance a avalé des médicaments, mais là, ce n'était pas pareil, parce qu'il fallait agir, alors j'étais dans l'action, pas dans la glace. et je n'ai pas eu de peurs rétrospectives.
Par contre, j'ai été terrorrisé quand on a perdu Lou à Blankengerghe, peu de temps après l'affaire Dutroux. Jamais eu une telle angoisse. Ou si, une fois, dans un cauchemar. cauchemar dont je ne me suis jamais vraiment remise et qui reste pour toujours dans ma tête.

10/5/05 12:03 PM  

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