13.8.06

Bonnie and Clyde.

(lecture déconseillée aux âmes sensibles)



B.O. : Bilbo is dead, by Andrew Tibbs (1947)



One.
C'était un soir exactement comme je les aime : l'autoroute était déserte, la nuit percée de tas d'étoiles et moi pleins phares au beau milieu de cette obscurité douceâtre. Oui, je roulais, la mer au bout de mon chemin, et sous le vent salé qui s'engouffrait par la fenêtre, je distinguais des plages de sable fin et des palmiers à perte de vue, j'entendais le cri des mouettes et je sentais déjà les vagues, tandis que le souvenir des derniers jours résonnait doucement, comme un refrain mortel, comme une course dingue.

C'étaient des rêves de gosses, le genre partie de pêche aux aurores avec soleil à l'horizon, ouais, des images chopées depuis lulure sur la TV pourrie d'un HLM de banlieue, non laissez, vous pouvez pas comprendre. Moi, je humais ça des deux narines, j'étais bercé par ce doux clapotis qui murmurait je t'aime à mon oreille, moi, j'étais fou. J'avais le pied au plancher, la cigarette aux lèvres et les yeux grands ouverts, de chaque côté de la route la montagne dessinait d'étranges masses sombres que je traversais à toute berzingue, je m'enfonçais dans le noir comme un couteau dans du beurre.

D'une main je tenais le volant et de l'autre une canette de bière, c'était le grand jeu quoi, dans mes santiags j'avais les doigts de pied en éventail, pendant que s'écoulait dans les enceintes cette bonne vieille musique, ce bon vieux blues. Bon, j'étais là à conduire cette voiture fabuleuse, et n'était cette balle que j'avais dans le ventre, j'aurais presque cru à des vacances.

J'ai jeté ma cigarette, une gerbe d'étincelles s'est envolée dans le rétro – à cet instant précis, faites-moi confiance, ça m'aurait bien fait plaisir de rencontrer une station-service, de préférence plutôt grande, avec de la lumière autour et des gens dedans, beaucoup de gens et n'importe lesquels, n'importe lesquels. Seulement la route était déserte, personne personne personne, pas âme qui vive à cent bornes à la ronde, personne vraiment personne, c'était le soir du Réveillon et vous truffiez la dinde, si je comptais sur vous j'étais marron. J'ai jeté ma canette, elle a explosé sur le macadam et c'est marrant, j'avais à côté de moi une mallette bourrée de fric jusqu'à la gueule, de quoi vous payer le champagne à tous sans compter… et plus la force de boire une seule gorgée. Sans oublier que j'avais sans doute aussi les flics aux fesses.

Derrière moi, l'incendie n'était plus qu'un souvenir, et je me suis penché pour éteindre la radio, psschitt, quand soudain ça m'a pris, crac, un hoquet géant qui m'a comme soulevé de terre, boom, un flottement devant les yeux et les deux pieds sur la pédale de frein, hue. Fallait dare-dare que je trouve un docteur, ou alors qu'on en finisse, la vie s'échappait de moi comme la vapeur d'une gamelle d'eau bouillante, je pissais le sang comme par inadvertance. C'est alors que j'ai aperçu cette fille sur le bord de ma route.

Maintenant il neigeait, les tripes en feu et le visage en sueur, tout s'embrumait autour de moi. Sans bruit, de noires volutes de blancs flocons s'échouaient sur le pare-brise, si je ne faisais rien bientôt la voiture toute entière serait recouverte de neige. D'une main je me tenais le ventre, tout m'écœurait, j'étais collé au siège et en plus j'avais froid, si froid. Sur le côté, j'ai vu une lueur s'allumer, comme un feu qui brillait dans la nuit.

Elle était là, une fleur au milieu de tout ça, je n'ai pas eu le temps de faire un geste que d'un doigt elle toquait à ma vitre. Elle avait des yeux clairs, et un parfum sauvage qui s'est répandu dans tout l'habitacle. Ça s'est mis à sentir foutument bon dans la voiture.
– Je suis blessé, j'ai fait.
– Je vois, elle a dit.

Elle avait une voix douce, et de jolies mains, drôlement fines. Elle savait conduire, aussi. Elle a pris le volant. Et c'est comme ça que j'ai fait la connaissance de Bonnie.


(à suivre)

4 PETIT(S) COMPRIMÉ(S):

Blogger bricol-girl a écrit...

Si, si on réclame et surtout qu'il y ait beaucoup de description, de sang, de perversité, des beaux cararactères et tout et tout. Au boulot anitta.

13/8/06 6:51 AM  
Anonymous Anonyme a écrit...

Je relirai cet épisode et lirai tous les suivants d'une seule traite, je préfère.
Ma première impression est que je goûte moins cela que ta saga familiale (que j'aime beaucoup !) mais ce n'était qu'une mise en oeil, je vais patienter.

13/8/06 4:23 PM  
Blogger Brigetoun a écrit...

ô merci la dame, je croyais que plus personne n'avais l'énergie d'écrire ou de mettre en ligne quoi que ce soit. Et en plus c'est un très joli cadeau. Si tu peux tenir une bonne route voilà un nouvel auteur de policiers ; on attend la suite

13/8/06 4:51 PM  
Blogger Maurice a écrit...

Moi avant le pont, quand je dis que je fais le pont, je fais le pont ! Avec un peu de chance jevais pouvoir faire Kikou !

16/8/06 11:15 PM  

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