26.12.04

Gran Turismo.

Ça remonte à une semaine, peut-être deux ; un de ces soirs où je n'arrivais pas à m'endormir. Dans ces cas-là, neuf-cent-quatre-vingt-dix-neuf fois sur mille, je grimpe doucement l'escalier, je traverse la salle de jeux mansardée jusqu'au petit bureau qu'on s'est aménagé sous les combles, je branche l'ordi et j'inspecte la Toile. Allez savoir pourquoi, saisie d'une impulsion subite ce soir-là, je me suis arrêtée en chemin et j'ai allumé la console ?

– J'ai amené des jeux, il me fait une fois que Sylvie les eût déposés.
– COMMENT ? j'ai demandé.
– Ils sont dans mon cartable, il a répondu.
Le premier après-midi qu'Audrey et Jérémy ont passé à la maison, j'ai mis les choses au point. D'abord, ils ne toucheraient JAMAIS à l'ordinateur – enfin, surtout lui. De toute manière, comme il me l'avait gentiment fait remarquer, je n'avais pas assez de place sur mon disque pour installer leurs logiciels (enfin, surtout les siens, à lui) et pas même un malheureux joystick à leur, enfin à lui prêter. Ensuite, ils n'entreraient jamais dans la chambre de Louloute (non plus que dans la mienne bien sûr) ; et s'ils étaient sages, faisaient un tout petit peu semblant de faire leurs devoirs et respectaient soigneusement ces consignes, alors, oui d'accord, ils pourraient se servir de la Playstation.
– La dernière fois, j'ai vu que vous aviez que des jeux de nazes, il a dit. Alors, j'ai amené les miens. Tu sais jouer à Gran Turismo ?
– COMMENT ? j'ai redit.

Avant tout, que les choses soient claires : l'idée de la Playstation ce n'est ni moi ni ma fille qui l'avons eue. Mais comme il se trouve qu'on récupérait sans cesse des DVD à droite à gauche et que les visionner sur un écran d'ordinateur devenait très vite fatigant, je m'étais laissée convaincre, un peu facilement je dois dire. Comme vous sans doute, j'avais lu tous ces reportages sur les accros du jeu vidéo, et je ne me voyais pas en accueillir un sous mon toit – qui, une fois rentré du boulot, se mettrait à aligner les tours de piste au lieu de préparer le repas du soir, ou s'adonnerait à sa passion pour les voitures qui font vroom-vroom à la télé au lieu, le week-end, de poursuivre les travaux nécessaires au confort de sa famille. J'étais vraiment inquiète : serais-je seulement en mesure de lui venir en aide, s'il découvrait brutalement qu'il avait, du côté de sa mère, des antécédents familiaux dans l'épilepsie ?

Audrey s'est réfugiée d'emblée dans les bandes dessinées ; mais Louloute m'avait prévenue, j'aurais davantage de difficultés avec son frère. Ce jour-là, on a passé un marché lui et moi : s'il voulait bien, l'histoire d'une heure, m'aider à remonter les caisses de livres du rez-de-chaussée jusqu'aux étagères qu'on venait de m'installer dans le bureau, en échange je voulais bien faire une course ou deux avec lui.
– Je te mettrai le niveau débutant, me dit ce petit arrogant.

Et là, il s'est passé quelque chose d'extraordinaire : figurez-vous que je me suis prise au jeu (piquée serait un mot plus juste) et qu'en l'espace d'une après-midi, j'ai fait des progrès réellement spectaculaires. Certes, mon petit voisin me battait toujours à plate couture ; mais pour peu que ma voiture ne décide pas de n'en faire qu'à sa tête, et si M. Schumacher voulait bien me laisser deux ou trois tours d'avance...

"Gran Turismo 3 est-il le meilleur jeu de simulation du monde, comme on le lit aujourd'hui partout sur le web ? Jeune mère de famille, devenue en quelques semaines à peine une spécialiste unanimement reconnue du célèbre jeu, je pense être qualifiée pour affirmer que oui. Dans un univers de plus en plus mondialisé, où la bagarre fait rage pour conquérir les parts d'un marché concurrentiel de plus en plus étiolé, Gran Turismo assure à la jeunesse d'aujourd'hui les moyens parmi les plus efficaces qui soient pour développer réflexes et réflexion, le tout en permettant à ses utilisateurs de s'amuser comme des petits fous" (extrait de la quatrième de couverture du livre que je prépare sur le sujet)

Quand Sylvie est venue les récupérer, mon pouce avait presque doublé de volume.
– Alors ? Ça s'est bien, euh… Ils n'ont pas été trop…?
– Non, on s'est bien amusés ! Pas vrai Jérémy ? Ah, faudra quand même lui faire réviser ses maths et son français, parce que tu vas pas le croire, mais…

Une bonne heure plus tard, mon mari a pointé une frimousse ébouriffée en haut des escaliers.
– Mais qu'est-ce que tu fais ? il a dit en me voyant la manette à la main. Il est trois heures du matin !
– Tais-toi voyons, j'ai répondu. Tu vois bien que je m'entraîne !




(installations Angela Bulloch)

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