24.2.06

La grande foir'fouille.

On est parti tôt – très tôt – le matin et les nuages s'amoncelaient à l'horizon, regardez, c'est comme si vous les aviez devant vous : les trois frangines équipées de pied en cap avec cet affreux manteau à capuche rouge pour Béatrice et moi (et si vous saviez ce que j'ai pu détester m'habiller pareil que ma sœur pendant ces années-là), un gros emmitouflement de pulls et sous-pulls pour l'Enfant-Roi (qui devait avoir dans les trois ans à l'époque), son imperméable beige pour mon père et son manteau de cuir noir pour ma mère. Comme d'habitude le dimanche, quand on allait chez Mamie Janine.

Oui, sauf que ce dimanche-là, tous les cinq à moitié endormis dans la Renault, on n'allait pas chez Mamie Janine…! Pendant le trajet, comme d'habitude, on a joué au Jeu des plaques de voiture, où il fallait donner le plus vite possible le nom du département et de la préfecture pour chaque numéro, et sans se tromper ; aujourd'hui, le croirez-vous, je suis incollable sur le sujet. Tiens, juste une, au hasard : 59…? Département du Nord, préfecture Lille !

Je vous passe les difficultés pour circuler dans la ville ce jour-là, de toute façon c'est comme ça depuis le Moyen-Age, depuis cette tradition instituant que chaque premier week-end de septembre, les valets de chambre seraient autorisés à vendre les vieux habits de leur maître. Inutile de préciser que pour trouver une place de parking ces jours-là, il faut avoir une voiture en Lego, et ranger les briques dans sa poche – mais mon père avait tout prévu : je ne me souviens plus, s'est-on garé au rectorat ou dans une école vide ?

En tout cas, on a commencé par Jean-Lebas, on a flâné le long de Solférino puis National, jeté un coup d'œil sur la place de la Rép' (le métro n'existait pas), fendu la foule de Béthune avant de plonger sur les vieux quartiers, et c'est en traversant l'esplanade de la gare qu'on s'est pris une bonne drache sur le coin de la capuche. En moins de deux, on s'est retrouvés mouillés jusqu'à l'os. Ah, ne me demandez pas si je m'en souviens, de ma première Braderie…!

Des chapeaux par dizaines, des affiches par centaines, des bibelots par milliers. Des livres précieux, des vieux bouquins, des revues anciennes, des précis de géographie, des cartes topographiques. Des meubles massifs, des armoires normandes, des chaises Louis XI, des serrures Louis XVI, des buffets d'époque, des chandeliers comme neufs. Des tableaux, des pièces de monnaie, des verres, des couverts, des lunettes, des montres, et des jouets, des jouets : des montagnes de jouets. Tout ça.

Et le reste : des paravents, des statues en marbre, des saladiers, des casseroles. Des pots à eau, des pots de beurre, des pots à lait. Des assiettes, des voitures, des cartes postales. Des vêtements : des chaînes hymalayennes de vêtements. Des toiles de maître, des livrées de domestique, des cletches de carnaval. Des lustres, des lampes à pétrole, des spots futuristes. Des ampoules. Des bijoux : beaucoup de bijoux. Des chaînes en or, des bagues en argent, des chevalières ornées d'une émeraude ou d'un rubis. Des bracelets, des boucles d'oreille, des colliers. La Braderie de Lille, c'est ça : un trésor ; une quête de l'oiseau du temps.

Et le bradeur alors ? Il est seul (assez rarement, mais ça arrive), en bande (le plus souvent), en famille (presque toujours). Après, c'est selon : l'acheteur professionnel arpentera les allées, contre-allées et terre-plein centraux selon un plan de marche minutieusement préparé – et sortira de sa poche une grosse liasse de billets pour acheter de la main à la main des camions même pas déchargés. Le chineur amateur, lui, se laissera guider par la foule, et son envie. Dame, cent kilomètres d'étals, ça vous laisse de la place pour les surprises, les coups de chance et les coups de cœur ! Mais quand l'un ou l'autre ont ferré quelque chose, il devient impossible de les distinguer : vous les verrez dix fois repasser au même endroit, et dix fois redécouvrir le bonheur.

Des yeux, ils vous touchent les porcelaines, les cuivres, les étains. Du regard, ils vous effleurent du plaisir, de l'émotion, de la joie. Du menton, ils vous caressent un velours, de la soie, de la dentelle. De la main, ils vous admirent un fer, une fonte, un inox. Et du doigt, ils vous lissent un merisier, un chêne, un sapin. Finissant par vous signer un chèque qui n'est pas de bois.

La Braderie, c'est le plus grand marché aux puces d'Europe ; celui où chacun des deux millions de promeneurs peut tout vendre et presque tout acheter. D'un côté vidant son grenier, le remplissant de l'autre.

Certains endroits sont éternels ; d'autres allient les parfums du mystère et agitent le mouchoir de la nostalgie. La Braderie, c'est tout ça en même temps : un mystère éternel, parfumé de nostalgie.

Ne cherchez plus : c'est de ce jour, dont le souvenir perdurerait davantage que les ampoules aux pieds que j'en récolterais, que date mon amour des marchés. De cette ambiance et ces odeurs, entre crevettes grises et frites-mayo, coquilles de moules et pain beurré, de cette foule et de ces cris, de ces échanges entre amis scellés autour d'une bière ou d'un blanc limé, de ces concerts improvisés au coin d'une rue ou de J.-C. Casadessus en redingote et chapeau-claque sur la grand'Place – son orchestre devant lui.

A un moment je me suis retournée, et je l'ai vue dans une vitrine, parée de mille feux, habillant un mannequin d'osier ; blanche avec des perles et des plumes, c'était une magnifique robe de mariée. Ce jour-là, j'ai su que je me marierais un jour, ok finalement ça ne se ferait pas en blanc, ni même dans une église, mais faut pas m'en vouloir, je gardais un trop mauvais souvenir de la dernière fois où j'y avais mis les pieds.

Alors, je sais bien qu'aujourd'hui on divorce pour un oui ou un non, un programme télé, une marque de vêtements, une humeur changeante, je sais aussi que l'union libre a bien des avantages ; mais moi, si j'ai tant voulu me marier, c'est par fidélité à la petite fille que j'étais ce jour-là. Le jour de la Braderie




(photos Richard Soberka) .

31 PETIT(S) COMPRIMÉ(S):

Anonymous Anonyme a écrit...

Avec ce genre de billet, on a envie d'aller manger des moules à Lille, même quand on vient du Sud !

24/2/06 8:48 PM  
Anonymous Anonyme a écrit...

J'ai deviné ce qu'était la drache, il m'a fallu ramer nettement plus pour les cletches. Mais certains mots : "le matin et les nuages s'amoncelaient à l'horizon" ne nécessitent nul dictionnaire, on marche avec toi dans les rues de Lille et ce pourrait être Pernambouc ou Vladivostock. Partout où on adore se déguiser, même et surtout en jolie petite mariée... Annita, tu devrais faire subventionner ton blog par l'Office du Tourisme Lillois, je te soupçonne d'ailleurs d'en être salariée !

24/2/06 11:08 PM  
Anonymous Anonyme a écrit...

Tu as oublié le raton-laveur....

Moi aussi, ça fait un moment que j'aurais envie de la connaitre cette fameuse braderie, même si la foule me fait peur, un peu.

Pour la robe de mariée, j'aime ces éclairs dans une vie, desquels nait une évidence...

24/2/06 11:08 PM  
Anonymous Anonyme a écrit...

Sourires. J'ai traversé bien des villes mais jamais la vôtre. je ne sais pourquoi. Chaque année , je me dis que: allez ! J'irai au carnaval ou à la braderie...
Et maintenant l'étau se resserre. Vos mots, votre impertinence, votre humour, votre distanciation brechtienne en toute occasion, votre sens de la convivialité...méritent effectivement une bonne fessée au goudron.

25/2/06 8:12 AM  
Anonymous Anonyme a écrit...

Anitta, tu ne connais pas alors "le clou" de ce week-end de fête quand on est lillois et que l'on va à la braderie ?
Halala ! va falloir te faire rattraper ça : quand on a fini de "ballocher" d'étal en étal, on remonte le Boulevard de la Liberté si on vient du centre ou alors la façade de l'Esplanade si on vient du Vieux-Lille et on se termine à la Foire aux Manèges (non pas la Ducasse, la grande Foire !)
En faisant bien attention, en passant près des manèges qui mettent la tête à l'envers, de ne pas se recevoir une humm... de moules-frites pas digérées ;-)

c'est mon 1er souvenir de sortie nocturne gamine : la Foire après la braderie !

25/2/06 3:25 PM  
Anonymous Anonyme a écrit...

Oui tous les ans début septembre, nous nous disons, et zut on a encore raté la Braderie de Lille !

J'aime bien Lille même s'il y a des années que je n'y suis pas allée. Tiens c'est une idée, et si on allait se balader à Lille prochainement ?

Mais non c'est pas la Sécu qui te subventionne, mais les labos pharmaceutiques ! Euh je plaisante...

Suis pas dans mon état normal moi ce soir. Vite mon comprimé...

25/2/06 9:32 PM  
Anonymous Anonyme a écrit...

Je suis comme Traou, je n'aime pas la grande foule surtout quand elle se dispute, bouscule, pour un bout de chiffon ou autre! Aussi, je ne prendrai pas, braderie ou carnaval, comme raison pour revoir Lille ou une quelconque ville (je n'ai pas dit quelconque!). Même le rassemblement des gds voiliers qui pourtant me subjuguent ne justifieront pas un tel déplacement! Les seuls rassemblements groupant 1 million de personnes qui trouvent grâce à mes yeux sont les manifs! Tout le monde marche dans le même sens (au propre et au figuré)et ça évite bien des soucis! Alors, Anitta décris- moi Lille et ses splendeurs que l'on peut visiter, admirer tout son soûl sans risque de se faire piétiner. Je sais qu'après t'avoir lue, soit je croirai tout connaître soit je piafferai d'impatience.. Bises!

26/2/06 12:45 PM  
Anonymous Anonyme a écrit...

Bah! J'ai voulu aller trop vite et voilà j'ai oublié de me découvrir! Bises..

26/2/06 11:36 PM  
Blogger tirui a écrit...

et le 86, tu connais le département et la préfecture ?
c'est quel jour cette braderie, que je vienne faire le plein de duplos, legos, playmos, meccanos, k'nex, et autres kaplas, dans mon semi-remorque ?
zut j'ai pas de grenier...tant pis je rangerai ça dans les chambres des enfants.

27/2/06 1:34 AM  
Anonymous Anonyme a écrit...

Je suis persuadé d'une chose en farfouillant dans vos billets depuis...quelques temps. Vos journées sont très consistantes. Une vie pleine, rebondissante, posée, attentive. Si je vous adresse mes respects les plus élevés, ne le prenez pas mal. Hein.

27/2/06 8:45 PM  
Anonymous Anonyme a écrit...

Et les sous-préfectures alors ? On les oublie les sous-préfectures ?!!

Même pour une qui n'aime pas la foule, ça donne envie, dis donc. En revanche, malgré ton éblouissement de petite fille devant la robe de mariée, rien à faire, ça me tente toujours très moyennement, robe ou pas !

28/2/06 9:47 AM  
Anonymous Anonyme a écrit...

Moi j'ai choisi la Bugatti (?) rouge à pédales!

28/2/06 12:04 PM  
Anonymous Anonyme a écrit...

Ouh, je sens que je vais en avoir des textes a lire pour remonter le temps. Presqu'autant que ceux que j'ai à écrire pour raconter mon temps :-)
Bises, je suis rentrée ce matin, directement au boulot. et je m'endors entre deux saisie sur le clavier...

28/2/06 4:05 PM  
Blogger Maurice a écrit...

Alors Ma Chère, histoire de situer, c'était avant le marché de Wazemmes si je ne m'abuse !

28/2/06 9:17 PM  
Blogger Ally a écrit...

Ouais nous aussi on jouait au plaques d'immatriculation ! mais que pour le nom du departement, pas la prefecture. Parce que bon, quand t'es une famille francilienne et que tu pars en vac' dans le sud, bah des numeros de departement differents, t'en croise sur l'autoroute, et pleins ! alors si en + faut donner la prefecture, on est pas sorti de l'auberge !!! sinon pas de bisous parce que chui malade et contagieuse. :D

28/2/06 10:37 PM  
Anonymous Anonyme a écrit...

si tu viens en Suisse, serais-tu capable de jouer au jeu des plaques?

1/3/06 7:16 AM  
Blogger Claire IWirth a écrit...

Depuis deux ans je rêve d'aller à Lille, j'emmerde tout le monde avec Lille, je parle tout le temps des Lillois... j'ai jamais su bien pourquoi... des trucs que j'ai du lire. J'engueule ma voisine, lilloise, venue s'installer dans le sud.
Alors que moi "quelque chose du nord" me manque tellement... Ici va comprendre, pour eux chu folle. ,)
((Ha non pas les manifs ! enfin ça dépend...))

1/3/06 10:02 PM  
Blogger Claire IWirth a écrit...

"...et c'est en traversant l'esplanade de la gare qu'on s'est pris une bonne drache sur le coin de la capuche."
Voilà, ça, j'adore... c'est du tout toi. :)

1/3/06 10:30 PM  
Anonymous Anonyme a écrit...

Ah, tu aimes les braderies, Anitta...
Alors voici une invitation officielle : je tiens un stand tous les ans le 1er week-end de juillet au vide-grenier de notre village. Viens donc prendre l'air de la Provence, je serai trop trop fière de te faire faire de bonnes affaires et de belles découvertes touristo-culturelles.
Fin du bristol.

2/3/06 5:11 PM  
Anonymous Anonyme a écrit...

C'est vrai que carnaval de Dunkerque et/ou grande braderie de Lille sont devenus depuis peu d'année des évènements dont on parle partout.
Alors qu'avant, si on était pas de la région on en ignorait jusqu'à l'existence (pour ma part en tout cas, alors que gamin j'habitais la préfecture du 76, donc pas super loin non plus).

En tout cas, trouver ses vêtements de marié(e) dans une braderie, c'est pas bien embêtant. Ce qu'il faut c'est ne pas brader celui/celle qui sera à l'intérieur des vêtements.
:-)

2/3/06 5:51 PM  
Blogger Claire IWirth a écrit...

Merci pour les photos, Anitta...

Jujuly > Je veux bien venir aussi moi à ton stand... (je suis une fan des vides greniers de Provence.)

2/3/06 9:00 PM  
Anonymous Anonyme a écrit...

J'avais découvert (grâce à votre oeil) ce démon de Jean Véronis sur votre blog lors de vos échanges dans la langue de Cervantes. Incroyable ce garçon. Une mine d'or luiguistique.
Dès lors, je me demande si vous n'êtes pas dans ce registre aussi. Je veux parler de votre travail.
Bises provençales, bientôt en partance sous d'autres cieux.

ps: Suis obligé de venir vous répondre chez-vous; c'est un peu le bordel chez moi en ce moment ;)

3/3/06 9:43 PM  
Anonymous Anonyme a écrit...

Fidèle à soi-même, c'est l'essentiel.

4/3/06 9:35 AM  
Anonymous Anonyme a écrit...

Z'êtes mourutes?
Très beaux portraits carnavalesques sur le lien du dessus.
Bise en passant.

7/3/06 5:14 PM  
Blogger Claire IWirth a écrit...

Y'a quelqu'un ??

8/3/06 9:01 PM  
Blogger Claire IWirth a écrit...

Ça résonne...ô.

8/3/06 9:03 PM  
Anonymous Anonyme a écrit...

C'est vrai qu'ça résonne. Ya même de l'humidité sur l'écran; pas chauffé depuis plusieurs jours.
Espérons qur tout va pour le mieux.

8/3/06 9:31 PM  
Anonymous Anonyme a écrit...

C'est les RTT du blog ? (bon, OK, je n'ai pas vraiment voix au chapitre...)

8/3/06 11:00 PM  
Anonymous Anonyme a écrit...

Ça y est, j'ai lu. MAis blogger m'a refusé de laisser un message jusqu'à ce soir…
86, c'est facile, c'est la vienne. Et la préfecture, me semble que c'est Poitiers.

moi je me récitait les départements pour m'endormir. c'est pour cela que j'ai toujours un soucis su côté des L. C'est le moment où je sombrais…

On a faili venir en septembre dernier. MAis c'était aussi le WE de la rentrée scolaire et j'avais une réunion le samedi matin :-(

10/3/06 9:36 PM  
Anonymous Anonyme a écrit...

Ha et puis tu devrais me plaindre. On ne sait jamais, ça peut être un prêté pour un rendu plus tard… :-)

10/3/06 9:36 PM  
Blogger Oncle Dan a écrit...

J'ai trouvé la voiture que tu cherches pour te garer...

à cette adresse :

http://video.tinypic.com/player.php?v=r1a1c7

11/3/06 10:39 AM  

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