Les sœurs Pétard.
Imaginez. Imaginez un ciel d’un bleu très pâle, presque effacé sur l'horizon, au milieu duquel un soleil blanc tournoierait comme un cachet d’aspirine dans un verre d'eau… Imaginez une autoroute déployant son ruban d'asphalte vers le Sud : palmiers, oiseaux, canicule et compagnie (attention, ne vous emballez pas, là. N'allez pas me manquer la sortie Lille-centre)… Imaginez une puissante voiture de sport, le genre décapotable mais en option, comme une berline féline faisant briller son prestigieux matricule dans l'aube luisante : 2-0-5… Imaginez le souffle du vent, les arbres courbés devant cette énergie furieuse, ce monstre de fer et d'acier lancé à pleine vitesse vers l'inconnu…
Et maintenant, imaginez deux jeunes femmes assises à l'avant de cette voiture, les yeux dissimulés derrière des lunettes noires, se demandant dans un sourire quel mauvais coup elles allaient bien pouvoir faire, quelle épicerie dévaliser, quels jolis garçons attirer dans leurs rets…
Là, vous y êtes ?
Et maintenant, imaginez deux jeunes femmes assises à l'avant de cette voiture, les yeux dissimulés derrière des lunettes noires, se demandant dans un sourire quel mauvais coup elles allaient bien pouvoir faire, quelle épicerie dévaliser, quels jolis garçons attirer dans leurs rets…
Là, vous y êtes ?
En fait, les moments que je préférais avec Christine, c'étaient peut-être ceux-là : ces dimanches indicibles où nous roulions dès l'aube sans la plus petite idée de ce qu'on ramenerait dans nos soutes. Louloute encore endormie à l'arrière, un vieux fond de radio pour nous accompagner, et pas d'autre bruit alentour que celui de la gomme défilant sur la bande rugueuse. Dans ces moments-là on ne se parlait pas forcément elle et moi, on se comprenait d'un geste ou d'un regard, et si on avait passé nos silences au tamis, je suis sûre qu'on aurait trouvé des pépites.
Bon ok, vous connaissez Christine, il y avait d'autres trajets où elle blablatait sans s'arrêter pendant toute l'heure que durait notre route, et qu'au Mexique j'ai fait ci, et que les Beatles étaient quatre, et que je vais coudre ma prochaine robe avec la fermeture éclair sur le côté, et que t'es sûre que Franck a raison sur ce sujet-là, et qu'est-ce que je dois dire à ce gars qui me propose un CDD de trois mois même pas payé au SMIC ? Dans l'apathie qui régnait je ne me pressais jamais pour répondre, formulant mollement des "Merde", des "Franck a toujours raison", des "C'est original !", ou encore "Tu oublies Brian Epstein" et "Oui je sais ça tu me l'as déjà dit"… Rien que de banal, comme vous voyez.
Plus tard, une fois qu'on avait sillonné les allées du grand marché et déniché nos petits ou grands trésors on s'arrêtait boire un café – à la rigueur une petite chuche-mourette, je dis bien : à la rigueur, les jours où la pêche avait été excellente – tout en grignotant des crevettes grises, au milieu de petits vieux qui jouaient au loto en fumant leurs Gitanes maïs, et après rien de plus, il était déjà l'heure de rentrer.
Voilà. Je me permets de vous donner tous ces détails, parce que je sais qu'on s'est fait des idées sur notre compte, dans notre quartier ces virées dominicales ont donné lieu à quelques fantasmes, et on ne nous a pas baptisé les sœurs Pétard pour rien – rendez-vous compte, nous qui aurions donné sans hésiter sa confession au Bon Dieu ! Nous qui nous sommes toujours bien tenues, à Wazemmes ou ailleurs ! Bon, je vous passe quelques broutilles, mais vraiment je vous jure, pas de quoi fouetter un lion.
Parfois, au retour on s'arrêtait faire le plein, et là je suis obligée de préciser que non, on n'a jamais braqué une seule station-service, ni dérobé un seul bonbon, et encore moins racolé un seul homme. Je ne vous dis pas que si Brad Pitt avait fait de l'auto-stop on ne se serait pas regardées du coin de l'œil, mais les seuls hommes qu'on croisait portaient des survêtements dans les tons verdâtres et des barbes de trois jours pas vraiment ragoûtantes, surtout ne croyez pas que je m'en plaigne, et s'il nous arrivait de rire de leurs tristes mines, promis on faisait ça discrètement.
Bon ok, vous connaissez Christine, il y avait d'autres trajets où elle blablatait sans s'arrêter pendant toute l'heure que durait notre route, et qu'au Mexique j'ai fait ci, et que les Beatles étaient quatre, et que je vais coudre ma prochaine robe avec la fermeture éclair sur le côté, et que t'es sûre que Franck a raison sur ce sujet-là, et qu'est-ce que je dois dire à ce gars qui me propose un CDD de trois mois même pas payé au SMIC ? Dans l'apathie qui régnait je ne me pressais jamais pour répondre, formulant mollement des "Merde", des "Franck a toujours raison", des "C'est original !", ou encore "Tu oublies Brian Epstein" et "Oui je sais ça tu me l'as déjà dit"… Rien que de banal, comme vous voyez.
Plus tard, une fois qu'on avait sillonné les allées du grand marché et déniché nos petits ou grands trésors on s'arrêtait boire un café – à la rigueur une petite chuche-mourette, je dis bien : à la rigueur, les jours où la pêche avait été excellente – tout en grignotant des crevettes grises, au milieu de petits vieux qui jouaient au loto en fumant leurs Gitanes maïs, et après rien de plus, il était déjà l'heure de rentrer.
Voilà. Je me permets de vous donner tous ces détails, parce que je sais qu'on s'est fait des idées sur notre compte, dans notre quartier ces virées dominicales ont donné lieu à quelques fantasmes, et on ne nous a pas baptisé les sœurs Pétard pour rien – rendez-vous compte, nous qui aurions donné sans hésiter sa confession au Bon Dieu ! Nous qui nous sommes toujours bien tenues, à Wazemmes ou ailleurs ! Bon, je vous passe quelques broutilles, mais vraiment je vous jure, pas de quoi fouetter un lion.
Parfois, au retour on s'arrêtait faire le plein, et là je suis obligée de préciser que non, on n'a jamais braqué une seule station-service, ni dérobé un seul bonbon, et encore moins racolé un seul homme. Je ne vous dis pas que si Brad Pitt avait fait de l'auto-stop on ne se serait pas regardées du coin de l'œil, mais les seuls hommes qu'on croisait portaient des survêtements dans les tons verdâtres et des barbes de trois jours pas vraiment ragoûtantes, surtout ne croyez pas que je m'en plaigne, et s'il nous arrivait de rire de leurs tristes mines, promis on faisait ça discrètement.
Non, m'arrêtez pas, c'est vrai ce soir je suis un peu amère, on avait beau prendre les choses à la rigolade c'était toujours ce genre de bruit qui nous suivait. Dès qu'on sortait, la nounou nous caftait à sa tante, une collègue de travail qui s'empressait de colporter dans les bureaux les rumeurs les plus folles, et je ne peux pas admettre qu'elle faisait simplement ça parce qu'elle n'était pas inscrite au même syndicat que Franck et moi. Le fait d'être adhérente à la XXXX avait-il supprimé en elle toute trace d'humanité ? Mon esprit généralement bien disposé à l'égard de mes semblables refusait d'envisager une telle éventualité.
Ouais, il fallait s'y faire, les gens étaient jaloux ou s'imaginaient des choses ; mais je refusais de m'y faire. Bon, je ne suis pas partie pour raconter que c'était très dur d'être une femme libre à la fin du siècle dernier, ni que la vie en province a parfois de ces pesanteurs que les ingénieurs de la NASA ne sont pas prêts de savoir calculer, mais franchement c'était tout comme – et je vous attends pour me dire ce qui a réellement changé depuis qu'on a basculé dans le troisième millénaire. C'est pour ça aujourd'hui que, dussé-je vous choquer, les donneurs de leçons à deux balles toujours prêts à vous asséner leur morale, je m'en tamponne l'âme comme de mon premier soutien-gorge (s'il vous plaît. Mettez ça sur le compte de la colère, et n'en parlons plus).
Enfin bref. Quoi qu'on fasse désormais c'était fichu pour nous : on était cataloguées, pointées du doigt, le costard taillé une fois pour toutes. Où qu'on aille, notre réputation nous précédait et, pour autant que je pouvais en juger, elle ne voyageait pas sans bagages. Et j'avais beau me dire que tout ça s'en irait avec la marée, que les mauvaises langues finiraient bien par s'étouffer, j'avais néanmoins le cœur qui me pinçait. Pour moi (un petit peu). Pour Christine (beaucoup). Pour Franck (surtout). Et Louloute…
Alors à la fin, c'est vrai, Monsieur le Juge. Je le reconnais, on leur en a donné pour leur argent, à tous ces gens. Je ne sais plus qui a écrit que le plus dur, quand on a une mauvaise réputation, c'est de l'entretenir, mais je peux vous assurer que ce gars-là n'était pas tombé sur deux ingrates.
Ah vous les voulez les sœurs Pétard hein ?
Eh ben, bougez pas, surtout.
On arrive !
Ouais, il fallait s'y faire, les gens étaient jaloux ou s'imaginaient des choses ; mais je refusais de m'y faire. Bon, je ne suis pas partie pour raconter que c'était très dur d'être une femme libre à la fin du siècle dernier, ni que la vie en province a parfois de ces pesanteurs que les ingénieurs de la NASA ne sont pas prêts de savoir calculer, mais franchement c'était tout comme – et je vous attends pour me dire ce qui a réellement changé depuis qu'on a basculé dans le troisième millénaire. C'est pour ça aujourd'hui que, dussé-je vous choquer, les donneurs de leçons à deux balles toujours prêts à vous asséner leur morale, je m'en tamponne l'âme comme de mon premier soutien-gorge (s'il vous plaît. Mettez ça sur le compte de la colère, et n'en parlons plus).
Enfin bref. Quoi qu'on fasse désormais c'était fichu pour nous : on était cataloguées, pointées du doigt, le costard taillé une fois pour toutes. Où qu'on aille, notre réputation nous précédait et, pour autant que je pouvais en juger, elle ne voyageait pas sans bagages. Et j'avais beau me dire que tout ça s'en irait avec la marée, que les mauvaises langues finiraient bien par s'étouffer, j'avais néanmoins le cœur qui me pinçait. Pour moi (un petit peu). Pour Christine (beaucoup). Pour Franck (surtout). Et Louloute…
Alors à la fin, c'est vrai, Monsieur le Juge. Je le reconnais, on leur en a donné pour leur argent, à tous ces gens. Je ne sais plus qui a écrit que le plus dur, quand on a une mauvaise réputation, c'est de l'entretenir, mais je peux vous assurer que ce gars-là n'était pas tombé sur deux ingrates.
Ah vous les voulez les sœurs Pétard hein ?
Eh ben, bougez pas, surtout.
On arrive !
(photos X)…
14 PETIT(S) COMPRIMÉ(S):
oh ! même pas un petit bras d'honneur aux chauffards locaux ?
ni tirer la langue dans le dos des commères ?
Le pire dans les réputations usurpées c'est qu'on a la jalousie des autres mais même pas les plaisirs qu'ils nous prêtent.
ps : Ainsi donc c'est plus facile d'être une femme libre en ce début de siècle. tant mieux alors pour les nouvelles christine et anitta qui naissent.
;-)
La vallée des Réputations.
De Jean Leloup.
Ha les qu'en diras t'on!!!!
Laurent
ah excellent le choix des images pour illustrer tes aventures avec Christine. Comme toujours (j'ai la bête impression de me répéter) --> sublissime!
Sur les photos, t'es celle de droit ou celle de gauche ? ;)
Plant a tree. Raise a child. Write a book.
le reste est sans importance.
Il n'y a que ceux qui ne font rien dont on ne dit rien. Quel ennui!
Tu connais la chanson "get ready for love" de nick cave?
Quelle patate!
les rumeurs , les noms qu'on te colle , les étiquettes fabriquées , quelle plaie !
j'en ai eu un sacré paquet de surnoms également
je n'en ai jamais aimé aucun
en fait assez tôt tu apprends que les gens sont cons et plus tard tu n'en doutes plus ...
sourire
C'est drôle, c'est comme ça que je t'imaginais... en Louise Sawyer à l'esprit tendre et piquant ! ;-)
Vas y balance les surnoms que tu aimes bien. :op
C'est vrai que Thelma et Louise, ça colle bien à ce que tu nous as raconté.
Et puis je me régale de Melvil Poupaud, merci !
Le suspens me tord les tripes.
L'inquiétude me pique les yeux.
Je crains avec plaisir la suite.
(et puis, vous avez eu raison, il ne faut pas décevoir vos détracteurs)
Mais Christine .. ce n'est pas la voiture rouge ?
mouarff pas tout compris .... :-)
Now with a cabrio, Anitta, you can hear people call you a tosser ! ... et pour ce qui est des palmiers sur cette portion d'autoroute, au prix où est la moquette, à moins d'avoir de l'imagination... Et quid de la réputation de celui qui s'est construit une batterie de girouettes en avions et canons avec des boîtes de conserve rouges, verts et blanches ? En général un chien se met à aboyer devant quelque chose qu'il ne connaît pas.
rhoooo Anitta ... Christine la voiture rouge, le film d'après Stephen King .... m'enfiiinnnn !!!!
sinon j'aime beaucoup ce post ... on dirait les frangines que j'ai jamais eu ;-)))
Anitta j'adore tes lunettes ;o)
Et dire que je n'etais encore jamais venu chez toi! non mais va vite falloir que je rattrappe le temps perdu!
Bobi c'est toi qui vend les tours de manege pour le Anittaland?
Tournedisque, tourne disque...vous tournez autour des disques vous?! (j'adore ce joli craquement du vynil haaaaa nostalgia nostalgia^)
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