22.8.05

Kursaal's follies.

Eh bien !

Puisqu'on nous traînait ma sœur et moi dans l'eau propre ; qu'on nous accusait à demi-mots de faire Carnaval toute l'année (ce qui, rapporté à l'échelle de notre ville, s'apparente ici à une véritable injure) ; puisqu'on s'effarait soudain devant les cheveux colorés de Christine (même si les teintes qu'elle choisissait prenaient avec le temps une tournure plus… agressive, disons) ; puisque ses robes africaines faisaient dorénavant jaser dans le quartier (alors que pendant des semaines on avait plutôt salué l'éclat de leurs tons et l'originalité de leur coupe) ; puisqu'on en arrivait même, dans un accès d'hypocrisie à peine croyable, à plaindre qui vous savez de ses incessants déplacements dans la capitale (non mais dîtes… Eût-il fallu, en sus, que je l'accompâgnasse ?) ; puisque même Ernestine Gibolin, devenue à son corps défendant je l'admets le baromètre de notre immeuble, au vu de sa situation stratégique de voisine de palier, ne nous saluait plus avec la même courtoisie (n'avais-je pourtant pas assez vanté, devant témoins s'il vous plaît, la qualité de ses couverts à salade – alors même que ceux-ci supportaient visiblement de plus en plus mal leurs passages répétés au lave-vaisselle ?) ; et puisque la liste de nos méfaits supposés ou à venir était de toute façon bien trop longue et trop absurde pour être rapportée ici dans son intégralité… nous résolûmes, Christine et moi, de frapper un grand coup.

La période s'y prêtait, cela dit. Alors comme ça, on nous accusait de faire Carnaval toute l'année ? Ça tombait bien, c'était Carnaval.

Gros rectangle de verre, de béton et d'acier posé entre ciel, terre et mer, à deux pas des flots, le Kursaal dresse sa fière stature à mi-chemin du port et de la plage. C'est, pour la ville, un édifice orienté vers le futur forcément souriant des joies du tourisme (kite-surf et cornets glacés), qui se veut à la fois palais des congrès, salle de réunions, séminaires, expositions et concerts ; mais c'est aussi un bâtiment chargé d'histoire, ancienne salle de spectacles d'Ostende rachetée au XIXème siècle par nos édiles et remontée pierre par pierre sur la plage de Malin-les-Beaux, cinquante kilomètres plus à l'ouest. En un mot, c'est notre Bercy à nous : qui l'hiver, accueille les plus fameux bals de Carnaval.

On se méfiera, comme d'habitude, des raccourcis que j'emploie, mais un bal de Carnaval au Kursaal est une expérience de haute valeur ethnographique, aussi passionnante et dangereuse qu'une virée chez les requins-marteaux avec le commandant Cousteau. Car le Kursaal est tout sauf une salle ordinaire. Avant d'entrer dans l'arène, il convient de sillonner toute la ville à pied, sans renâcler devant une soupe bouillante ou la bière servie au mètre ; usant de force chants, il est de coutume d'attendre d'avoir la voix cassée pour hurler délicatement son bonheur d'être là ; enfin, il faudra traverser à la force des épaules de longues brassées de festivaliers mugissant et beuglant en un trépidant bruit de fond, qui n'est pas sans rappeler, par bien des points, un banquet gaulois où l'on aurait omis de bâillonner le barde.

Un regard inquisiteur aurait vite fait d'assimiler l'endroit, avec ces gens à moitié nus passé minuit, à un amical lieu de débauche, mais c'est très exagéré (enfin, à ce que j'en sais, n'ayant pas toujours le regard mal placé) ; en réalité, même refait à neuf, le lieu n'est pas dénué d'une certaine poésie, cette poésie qu'atteint l'âme humaine quand elle sait s'affranchir du poids des conventions.

C'est là, dans la folle allégresse du rassemblement de milliers de masquelours usés par leur journée, que bousculant sans vergogne Matantes et Mononcles, ma sœur et moi nous frayâmes un chemin jusque vers les tablées qui constituaient notre groupe.

Dehors, la tornade battait son plein, et le ciel était strié d'éclairs comme les replis d'un drap qu'on secoue ; on eût dit que Neptune avait réservé ce soir-là pour sa séance d'ORL. Parvenues devant les tables où étaient rassemblées les forces vives du quartier – ici, Franck, Thierry et leurs amis, tous à jour de leurs cotisations je précise ; là, Ernestine Gibolin, assise aux côtés de son fils, grand échalas au crâne aussi dégarni que celui d'un prof de maths ; là enfin, les membres de la secte Tupperware, copines d'Ernestine au premier rang – nous défîmes elle et moi les capes qui couvraient nos épaules et entonnèrent d'une même voix la chanson que nous avions préparée :

Nous sommes les sœurs Pétard
Nées sous la statue de Jean Bart
Mi fa sol la mi ré
Ré mi fa sol sol sol ré do

Avant que les mots me manquent pour vous décrire la surprise de notre public, dépêchez-vous d'enregistrer ceux-ci : bouches bées, yeux ronds, lippe baveuse. Car le secret avait été bien gardé ; seule Louloute, qui faisait office de régisseuse, était au courant de notre surprise. Pour vous dire leur émotion, Franck et ses amis étaient complètement renversés sur leurs fauteuils ; Thierry aussi, mais pour d'autres raisons j'en ai peur.

Deux fruits de la passion
N'ayant qu'faire du qu'en dira-t-on
Mi fa sol la mi ré
Ré mi fa sol sol sol ré do

Aujourd'hui, Christine raconte à qui veut bien que dans cette foule de plusieurs milliers de personnes, deux cents d'entre elles firent cercle autour de nos pas de danse – mais vous aurez remarqué que ma sœur a toujours été plus vantarde que moi. Moi, je prétends que s'il y eût, dans cette folie vibrionnante, vingt personnes, à tout casser, qui prêtèrent une oreille attentive à nos bêtises, c'est bien le bout du monde…

Nous fûmes toutes deux élevées par maman
Qui pour nous se priva, travailla vaillament
Elle voulait de nous faire des érudites
Et pour cela vendit toute sa vie des frites

Mais ce bout du monde était ainsi fait que ces vingt personnes, dès le lendemain, en parlèrent à vingt personnes de leur entourage, qui elles-mêmes le rapportèrent à vingt autres personnes… et à la fin nous eûmes sacrément de la chance qu'Antenne3 n'interrompit pas ses programmes pour rendre compte de l'événement, ni que La Voix du Sud n'en fit les choux gras de son édition locale…

Jouant du violoncelle
De la trompette ou du banjo
Aimant la ritournelle
Les calembours et les bons mots

Nous achevâmes notre petite choré en éclatant de rire, rouges de confusion et d'essoufflement, enserrant Franck et Louloute dans nos bras. A l'image de la famille unie que nous étions…

Du plomb dans la cervelle
De la fantaisie à gogo
Nous sommes les sœurs Pétard
Nées sous la statue de Jean Bart

Nous mîmes deux semaines à préparer notre surprise, passâmes deux heures à la répéter, l'exécutâmes en un peu plus de deux fois deux minutes, et obtînmes très exactement… Quoi, vingt secondes de silence ? Mais ce furent vingt interminables secondes qui me firent comprendre une fois pour toutes que je ne serais jamais Tina Turner, vingt secondes d'un silence lourd et intense, qui ne fut rompu que par le pof d'un bouchon de champagne à une table voisine ; comme sous le choc, notre petite assistance décida enfin d'applaudir. Et ensuite ?

Ensuite, il faut bien dire que nous passâmes très vite à autre chose. Nous dansâmes, nous chantâmes, nous fumâmes, bref nous nous divertîmes ; puisque je suis ce soir en veine de confidences, notez que nous buvâmes un peu, aussi.

N'empêche, tard dans la nuit, quand Ernestine Gibolin, descendant de la voiture, me lâcha en guise d'au revoir un : "C'était bien votre petit numéro, hein ?"… je compris que les sœurs Pétard avaient remporté la partie. Oh, nous n'avions pas fait taire les mauvaises langues, ça non ; nous avions simplement réussi à parler plus fort qu'elles. Croyez-le, c'était ça le plus important : désormais, quand ces méchantes langues médiraient à nouveau de Christine et moi, une lueur d'amusement surgirait aussitôt dans le regard de leurs interlocuteurs au souvenir de cette soirée.

Oué !



Nous sommes les sœurs Pétard
Nées sous la statue de Jean Bart…
Mi fa sol la mi ré
Ré mi fa sol sol sol ré do




(photos X)

14 PETIT(S) COMPRIMÉ(S):

Blogger tirui a écrit...

ah ah elles sont terribles ces soeurs et leur combat contre les ernestine gibolin chafouines ne manque pas de sel de la mer du Nord.
et ces éclairs... replis de draps claquant comme des pétards
quels beaux éclairs d'écriture
mais ...
mais quand même pourquoi les profs de maths auraient-ils plus que d'autres le crâne dégarni ?!!?
moi même je ne sais plus quoi faire des cheveux qui me poussent sans arrêt (des oreillers peut-être ?)

22/8/05 2:30 AM  
Anonymous Anonyme a écrit...

C'est malin maintenant je vais chanter les soeurs pétard toute la journée... !

22/8/05 9:06 AM  
Anonymous Anonyme a écrit...

lalala la lala, lalala lalalalal oui, c'est malin !

Et puis, si je puis me permettre: "on eût dit que Neptune avait réservé ce soir-là pour sa séance d'ORL" et "cette poésie qu'atteint l'âme humaine quand elle sait s'affranchir du poids des conventions" sont d'excellentes périphrases à répéter dans toutes les écoles !

22/8/05 10:02 AM  
Anonymous Anonyme a écrit...

mais oui, mais oui
nous on y était au off
voici la véritable chanson



" Tous les matins, je bois mon Gibolin et je me sens très bien ! "
(Refrain à chanter gaiement)




Chimie des corps,pansement des ames,
du panari au désamour,
en onction, tisane, onguent, lotion,
potion, sirop, granules, capsules,
cataplasme, aspersion, décoction,
infusette, il nous réconforte,
en injection, infiltration, perfusion,
en cure et trempage,
dans le vin, les bonbons, le fromage, dans le décapied,
contre les insectes et les peines de cœur,
antidépressif et désinfectant,
Que de Bienfaits !
" Tous les matins, je bois mon Gibolin et je me sens très bien ! "

22/8/05 11:13 AM  
Anonymous Anonyme a écrit...

Coucou Anitta,
J'étais trop occupée pour sauver la réputation des profs de maths: c'est vrai qu'il y en a qui ont des cheveux en grand nombre, j'en ai vus !

"Les soeurs Pétard", de vraies demoiselles...

22/8/05 12:47 PM  
Anonymous Anonyme a écrit...

mwarfff ... tu es perdue tu en as pour au moins 6 à 9 mois de gogoleries "paroles petit bonhomme en mousse" "musique patrick Sébastien" ... alors que bon à la base "musique" et Patrick Sébastien" ça n'a rien à voir hein ?!

22/8/05 4:59 PM  
Anonymous Anonyme a écrit...

Alors, concernant la question de la quantité de cheveux des profs de maths de sexe masculin, je dirai que les jeunes ont plus de cheveux que les vieux.

DONC si par malchance tu n'as eu que des vieux, ce sont des chauves, si tu as eu plutôt des jeunes, ils avaient plutôt des cheveux !

Dans le style des soeurs Pétard, avec ma copine Véronique, on avait fait un beau duo en perruque blonde sur l'air de 'Il venait d'avoir 18 ans"... on a eu grand succès, c'était il y a longtemps ! Notre nom de scène, c'était "les Dalidettes" (une seule représentation)

22/8/05 10:01 PM  
Anonymous Anonyme a écrit...

Alors si tu es recommandée par Jujuly c'est que ton âme est sympathique... Pas le temps de lire ce soir, mais, PROMIS, je reviens vite pour découvrir ton blog.

Buena note...

Cyrille

22/8/05 10:37 PM  
Anonymous Anonyme a écrit...

C'était donc toi !

22/8/05 10:42 PM  
Blogger Ally a écrit...

Folles le soeurs Petards ! Mais dis donc, sont disparues où les armes justement ? ;o)
Trés cool le "Plug in Baby" ! (j'adore cette chanson, et j'adore Muse de toute façon ! Tjs des bons choix !).

23/8/05 12:05 AM  
Blogger Delphine a écrit...

Ce soir dans le resto japonais, Cheri chantait:

je suis un CG5
je bois ma soupe miso
parceque je suis un leader
ca compte pas pour du beurre
oah poum patah tah tah

je cois qu'il a pas digere sa petite reunion corporate de s'taprem...
bref on dit comme vous
Si le monde t'ennuie, chante!


(elles me plaisent bien les soeurs petards)


CG5 c'est une classification, on sait pas ce que ca veut dire. pom tah poum tah tah!

23/8/05 6:56 AM  
Anonymous Anonyme a écrit...

Oh mince j'aurais voulu être là pour voir ça
:o)))

pourquoi j'ai la petite chanson qui me trotte dans la tête, mouâ?

23/8/05 10:51 AM  
Anonymous Anonyme a écrit...

oui voilà c'est malin

comme tout le monde j'ai cette chanson dans la tête

mouarfffffffff !!!

23/8/05 1:32 PM  
Anonymous Anonyme a écrit...

Et vous étiez habillées comment sous la cape ?

31/8/05 2:28 PM  

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