1.8.05

Fichus & colifichets.

Cela dit, loin de moi l'idée de faire passer Franck pour quelqu'un qui consentait benoîtement au moindre des caprices de ma sœur, ou Christine pour une gamine attirée telle une musca domestica sur le vinaigre par la première bêtise venue. Eh, non mais ho !

At first, pensez-vous sérieusement qu'un battant dans le genre de Franck, capable à l'époque de vous haranguer 400 personnes en colère, de vous conduire cette foule au pas de charge à travers les étages d'un centre de distribution jusqu'au bureau du big boss, de prier gentiment ce dernier de descendre dans la grande salle du rez-de-chaussée (sans lui toucher, bien sûr, le plus petit cheveu) pour lui permettre de rencontrer le personnel… Bref, pensez-vous sérieusement qu'un tel homme pouvait ne pas se préoccuper aussi de ce qui se passait dans sa propre famille ?

And two, croyez-vous que ma sœur pouvait supporter sans gêne de vivre à nos crochets sans en retirer une profonde frustration, que ses demandes répétées de boulot, à droite, à gauche ou à l'ANPE ne faisaient qu'aviver, vu que pour la plupart ses futurs ex-employeurs lui reprochaient d'avoir trop de diplômes pour le poste auquel elle prétendait ? Même si elle ne l'a jamais avoué, je sais qu'elle en souffrait ; les ridules qui griffaient son visage, je les lisais comme les phrases d'un livre.

Le problème, c'est que, outre la conviction de se battre pour le service public, allié à une connaissance suffisante des rapports humains dans l'entreprise pour savoir jusqu'où ne pas aller trop loin, les responsabilités syndicales de Franck l'avaient doté d'une véritable âme de chef. Or, "commander" ou "obéir" ne sont pas des mots qui appartiennent au vocabulaire d'une fille rétive à toute forme d'autorité – et je vous jure que Christine faisait une vraie fixation là-dessus. Dès lors, les étincelles étaient inévitables.

Seulement, il se trouvait, par le plus grand des hasards autant qu'une cruelle injustice, que leurs échauffourées ne faisaient jamais qu'une seule et unique victime (je vous laisse deviner qui) et je ne trouvais vraiment pas ça drôle du tout. Evidemment, le plus bel exemple que je puisse vous donner – celui qui me reste encore en travers de la gorge – c'est l'histoire du marché de plage. Aaarrgh, le marché de plage !


D'abord, il faut savoir que Christine avait hérité de notre mère ce don pour la couture qui la faisait se pencher des heures entières sur une coupe ardue ou un patron chiant (hi hi). Et comme de nos virées à Wazemmes ou ailleurs elle ramenait des tissus made in Dakar ou Bamako, avec des teintes dont vous n'imaginiez même pas qu'elles pussent exister, elle s'est vite retrouvée avec un lot de robes toutes plus jolies l'une que l'autre.

Là-dessus, un de ses amis lui souffla qu'elle était bien bête de ne pas profiter de la saison pour monnayer ces chiffons merveilleux. D'accord : pour les amis de Christine, faire les marchés se résumait à une planche et deux tréteaux, une lampe pour la déco et ni vu ni connu j't'embrouille. Et même si elle n'ignorait pas qu'une patente de commerçant ambulant était nécessaire, ça n'était tout de même pas un vulgaire bout de papier qui allait l'arrêter.

Pour sa part, Franck trouvait l'idée débile et je reste polie, ce qui ne l'empêcha pas de le lui dire en des termes moins choisis. En face, Christine se défendit pied à pied ; toujours est-il, le résultat c'est que son marché elle a décidé de le faire quand même. Quant à moi, prise entre deux feux, je ne disconvenais des arguments de personne, mais une fois de plus, qui c'est qui jouait les casques bleus entre les forces en présence… Hein ?

C'est pour ça que j'ai décidé de l'accompagner. Dame, c'était ma sœur, et il fallait bien quelqu'un pour payer l'amende au cas où ! Et puis, il faut aussi ajouter que dans nos robes à fleurs, on n'avait jamais été aussi belles sur la plage qu'à cette période-là…

Au départ, Christine voulait faire ça de l'autre côté de la frontière, mais comme je n'imaginais pas qu'on puisse se faire extrader pour quelques kilos de tissu, on n'avait pas atteint La Panne que je l'ai convaincue de faire demi-tour. Tu comprends, je lui dis, c'est pas qu'elles soient plus confortables qu'ailleurs, les geôles de notre bon vieux ch'Nord, mais au moins, ça sera plus facile pour qui tu sais de t'apporter des oranges, tu vois…?

Bon, on gare la voiture au bout de la jetée, notre voisin hausse les sourcils en nous voyant arriver mais rien de plus, je m'approche tandis que Christine finit de monter les tréteaux, les contrôles bien sûr il y en a il me dit, mais vous inquiétez pas, ici des patentes on n'est pas la moitié à les avoir… Par contre, cette année vous allez voir, les touristes ont des tapettes à souris dans le porte-monnaie, préparez-vous du café la soirée va être longue !

Oui, sauf que quand Christine a sorti du coffre la vingtaine de robes qu'elle avait confectionnées ç'a été l'hallali, pas de la part des touristes, ça non, l'autre avait raison il n'y en avait pas lourd, mais des autres forains qui se sont rués sur notre petit étal, en un quart d'heure à peine on a tout liquidé.

Et là, figurez-vous qu'on a hérité d'un imposant tas de billets (à notre échelle, s'entend), et c'était magique, en un clin d'œil on était devenues les reines de la nuit, tiens petit, cinquante francs pour toi si tu nous rentres les planches dans la voiture, comme de juste on a payé le champagne à nos voisins, ça pour les affaires on étaient douées, plus tard à la Grande Brasserie de la Plage on est passées aux cocktails et ils étaient rudement bons, on jouait les vedettes en terrasse, je vous jure que s'il n'avait pas déjà fait nuit on aurait sorti nos lunettes de soleil, c'est tout juste si on n'a pas apposé nos autographes sur la nappe en partant, le trajet inverse on l'a fait en chantant à tue-tête dans la voiture et je suis sûre que je vous oublie la moitié des choses qu'on a faites ce soir-là…

Voilà, c'est tout ; ce n'aurait pu être qu'une agréable soirée de plus, quelques fou-rires à ajouter à une collection déjà longue, mais c'était sans compter le caractère de mes oiseaux.

Franck n'a pas prononcé un mot à notre retour ; il s'est contenté de serrer les poings tellement fort en apprenant d'où on venait que j'ai été saisie d'un affreux pressentiment. Hasard ou coïncidence, il a trouvé le lendemain un autre chef à kidnapper raisonner tenter de convaincre ; j'espère qu'à cause de moi ils ne l'ont pas trempé dans le goudron celui-là…

Et comme si ça ne suffisait pas, le soir-même Christine est venue me chercher au boulot en chouinant. Elle avait fait ses comptes : certes, elle rentrait dans ses frais, mais en comptant bien, tout le bénéfice de l'opération s'élevait à 4 ou 500 balles… soit, à peu de chose près, la somme qu'on avait claquée la veille en champagne et babioles. C'est tout juste si elle ne me devait pas de l'argent !

Mais bon, que voulait-elle que je lui réponde ? Quinze semaines de boulot pour queut'chi ? Eh ma p'tite dame, forain c'est un métier ! Et comme j'alignais des banalités de ce genre, elle est repartie à chialer, jurant mais un peu tard qu'on ne l'y reprendrait plus.

Et là, je vous le donne Emile, dîtes-moi voir un peu qui c'est qui s'est retrouvée, au milieu de ce torrent de larmes, la tête encore enrubannée des vapeurs de la veille, à consoler sa sœur tout en se disant, vite, il faut que je me dépêche de contacter mon mari pour l'empêcher de commettre l'irréparable ?

Hein ?

Vous pressez pas pour répondre, surtout.

Et ne me parlez plus jamais des marchés de plage.

Pfff !




(photos X)

3 PETIT(S) COMPRIMÉ(S):

Anonymous Anonyme a écrit...

Moi qui pensais me reconvertir en vendeuse de babioles déambulante sur plages du Sud...

Vous deviez être bien belles dans vos robes et ça, même Franck a dû y être sensible. Non ?

(sinon comme prévu bien pensé à toi devant Sylvie Testud, hier soir).

2/8/05 10:50 AM  
Blogger Maurice a écrit...

Hello again !

C'est bien joli les vacances, mais j'ai maintenant un retard à combler et quelques lectures qui m'attendent (et que j'attendais !).

Côté clavier je vais avoir besoin d'un temps de ré-adaptation...

2/8/05 11:07 AM  
Anonymous Anonyme a écrit...

C'était La Belle Equipe, les deux soeurs vendant leurs robes sur le marché ! Dommage pour la déception de ta soeur.
Moi j'aime bien sur la plage de Carcans-Maubuisson, (en Gironde) l'été il y a une fille très gaie et sympa qui passe et vend du thé vert et du café. Elle chantonne et papote avec tout le monde. Et je l'imagine pas avec une patente !

2/8/05 3:31 PM  

<< Home