7.6.05

Dernière station avant autoroute.

(vent frais, mer grise, sable poisseux)

Voilà. C'étaient des souvenirs comme ceux-là que j'effeuillais, des pas de patinette la main dans celle de l'autre et des bouteilles de bière vidées d'un trait, de la paille et du sable dans les cheveux et plein de gens qui riaient autour de nous… Bon, oui, bien sûr, il y avait d'autres souvenirs aussi qui remontaient, moins agréables disons, crêpages de chignons en règle générale (j'ai dit qu'il n'en a pas manqué), mais ces souvenirs-là possédaient un éclat, une saveur, dans ceux-là au moins elle existait, dans ceux-là il y avait son parfum, ses humeurs, jusqu'à son cœur qu'on entendait battre.

Enfin, je trouve.

Il en était d'autres encore, plus diffus, couleur sépia ; comme ces fins d'après-midi où l’hiver habillait d'une grisaille déprimante les sorties du lycée, et que la mère ramenait ses aînées à la maison, où elle avait préparé à sa progéniture un goûter géant fait de bols de chocolat fûmant et de bonnes grosses parts de tarte flamande.

Fallait les voir alors, les trois sœurs, s'empiffrer goulûment de morceaux de gâteau plus gros qu'elles, puis, une fois rassasiées, s'échanger impudemment des coups de pied sous la table. Il y avait là la Reine Christine, notre huitième merveille du monde, déjà bien plus intelligente et drôle que ses deux aînées, qui faisait sa maligne du haut de ses six ans et demi ; en face, la Princesse Béatrice, perdue dans des pensées où elle devait compter et recompter ses soupirants du jour, tandis que de mon côté je chiquais déjà à la grande sœur ; fronçant le sourcil quand l'une des deux faisait mine de me chiper les miettes tombées à côté de mon bol, grommelant de vagues avertissements quand leurs chamailleries menaçaient de dégénérer, et appelant la mère à la rescousse quand les deux en venaient à s'empoigner sans la moindre vergogne par les cheveux.

Bah, inutile de mentir, pas vrai ? Vétilleuse aujourd'hui comme je suis, hier je devais être parfaite en duègne.

Ensuite, nous passions aux devoirs, chacune devant son bureau, moi seule dans ma chambre, elles dans celle qu'elles partageaient (plus tard, quand le père changerait d'établissement, elles auraient chacune la leur ; las, c'est le moment que choisirait la cadette pour multiplier les fugues), Christine ânonnant d'une voix hésitante les aventures de Rémy et Colette, nous aux prises avec un problème d'algèbre ou d'histoire-géographie, ou à écouter la pluie frapper au carreau, ou encore à regarder en douce la télévision. Inutile d'attendre papa disait maman au moment du souper, il rentrera tard ce soir… "Pour changer !", murmurait-on en chœur, tandis que celle qui était de corvée mettait la table…

Et il y aurait encore ces frôlements de peau nue dans le couloir une fois les lumières éteintes, ces lampes électriques clignotant sous les couvertures pour ne rien manquer du dernier OK ! Magazine, ma mère nous criant d'en bas de bien vouloir nous taire et dormir maintenant, ces rires étouffés, ces trois paires de pieds nus glissant jusqu'à la balustrade quand on entendait la clef tourner dans la porte d'entrée, ces éclats de la voix de mon père quand il rentrait enfin, ceux de ma mère lui répondant, et leurs deux voix mêlées discutant, discutant, discutant encore et toujours, occupés qu'ils étaient à refaire le monde, jusqu'à ce moment où, Christine renvoyée manu militari se coucher par nos soins depuis longtemps, on entendrait le baiser qui scellerait leur réconciliation. Et alors, apaisées ou nerveuses selon les jours, on faisait la course toutes les deux, la première dans son lit avait gagné, le long du long couloir qui bordait toutes les chambres. Tiens, et cette fois où elle a déchiré ma chemise de nuit en me saisissant par le col, et là, le rire nerveux qui nous a pris, et là, la manière dont on s'est engouffrées dans nos lits, et là, les cris de Christine apeurée par nos bonds de cabri, et là, la colère paternelle qui a suivi… je vous les raconte pas, ha ha.

Voilà. Après le retour de Vincent, on s'est perdues de vue elle et moi pendant de longs mois, et c'est presque par hasard qu'on s'est retrouvées, l'espace de cette nuit où, en pleurs et le ventre rond, elle est venue frapper à ma porte ; mais presque immédiatement après, est venu le moment où on s'est séparées pour de bon : ce temps de la danse où la cavalière lâche définitivement la main de son cavalier.




(photos X)

11 PETIT(S) COMPRIMÉ(S):

Anonymous Anonyme a écrit...

Hier parfaite en duègne ???
Et aujourd'hui ?
:)

7/6/05 5:41 PM  
Anonymous Anonyme a écrit...

C'est bon, j'ai fait le plein des sens.
Mais je ne viens pas ici totalement par hasard...

7/6/05 5:42 PM  
Blogger Ally a écrit...

Qu'elle est belle cette photo d'orage ! Et sinon, c'est pas bien de courir dans les couloirs ! lol. Bisous. :D

7/6/05 6:41 PM  
Anonymous Anonyme a écrit...

Ciel, une duègne, ici ! Vive la compagnie !

(librement inspiré d'Hernani)

7/6/05 7:10 PM  
Anonymous Anonyme a écrit...

Aujourd'hui ou demain,
On a tous rendez-vous avec le destin
Et quand il te tient,
Il n'a pas dit son dernier mot.
Il vole vite, vole vite, dans ton dos,
Ton dos.

Et je me souviens que, quand on s'est connu,
J'avais le cœur vide, je ne l'ai plus
Et quand je passe
Le pont,
Je me dis :
"Tiens bon."

Et je parle peu, personne ne sait ou je vis.
Y a que mon ombre qui me suit
Et quand je passe
Le pont,
Elle me dit :
"Tiens bon."
Au-dessous, c'est le vide,
Au-dessous, c'est le vide
Et t'as besoin de vivre encore,
Et t'as besoin de vivre encore

Et pas un jour, loin d'elle ou loin d'ici,
Sans être encore à sa merci,
Et tout est ainsi,
Pas moyen de se défendre,
Sans voir le pont, le pont se fendre,
Pont se fendre,
Se fendre...

Mais moi, je sais bien
Qu'hier, aujourd'hui ou demain,
Et sur la tête, sur les mains,
Si je passe
Le pont,
Elle me dira :
"Tiens bon."
Et je tiens bon,
Ah oui, je tiens bon
Et je tiens... bon
Alors je tiens,
Oui je tiens.

(ça compte pas pour dix Anitta et pis en plus je t'embrasse pour le 39...)

7/6/05 9:54 PM  
Anonymous Anonyme a écrit...

Alors ça serait aujourd'hui le 39 ??

Des bisous de toute façon.

Et des tas de pensées tendres qui volent vers toi.

8/6/05 8:56 AM  
Anonymous Anonyme a écrit...

Il y a toujours des sentiments très forts dans tes textes.
J'aime beaucoup.

Et je vous vois tout à fait faire les zouaves au lieu d'aller dormir d'un sommeil réparateur !
Quand je vois déjà mes affreux !

8/6/05 9:03 AM  
Anonymous Anonyme a écrit...

Anitta, tu te souviens du deal ? lire en silence...
Mais tu sais quoi ? Je ne vais plus me modérer et venir boire la deuxième bière of my life avec toi, si t'es ok bien sûr...

8/6/05 11:26 AM  
Blogger Maurice a écrit...

Désolé de te contredire Anitta, mais sans te connaître et à te lire je ne t'imagine pas du tout en duègne même quand elle prend les traits d'Alice Sapritch.

8/6/05 8:46 PM  
Anonymous Anonyme a écrit...

Oué, oué, tout comme dit Maurice.
(et c'est pas pour que tu apprécies, hein !!)

9/6/05 5:23 PM  
Anonymous Anonyme a écrit...

Anitta j'ai bien pensé à toi aujourd'hui au coeur de longues négociations syndicales... j'en ai même profité pour apprendre un peu ta langue à côté d'un cgtiste nordiste qui me proposait un "chuque" (je garantis pas l'orthographe!)... Quelle belle journée ! On se la boit cette bière ou tu vas faire ta star encore longtemps ? ;-)
Les amitiés des camarades.

9/6/05 7:40 PM  

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