La vérité sur Corine F.
A l'heure où l'on a cessé de compter les nouveaux blogs paraissant chaque jour sur la Toile, tel un flux désordonné recouvrant sans arrêt les paroles prononcées, et semblant les réécrire indéfiniment à chaque nouvelle marée, la question, lancinante, mérite d'être posée : qu'est devenue Corine F. ? Comme nombre d'entre vous, j'étais moi aussi une lectrice assidue, monomaniaque et acharnée, de son carnet web. Pour rien au monde je n'aurais manqué, en allumant mon ordinateur le matin, les billets subtils, sensibles et aériens, qu'elle postait quotidiennement sur cet espace personnel dont je foulais les pages avec dévotion, et respect.
......................................................(photo Antoine)
Un mot, d'abord, sur la fermeture brutale de son blog, certaines lectrices ayant déploré, ici ou ailleurs, la désinvolture du procédé consistant à faire apparaître une vulgaire page d'erreur en lieu et place de la page d'accueil. Si je n'ai pas pris part à la polémique qui s'en est ensuivie, malgré les commentaires équivoques dont j'ai pu faire l'objet, ce n'est pas seulement pour ma sainte horreur de ces querelles futiles dont la blogosphère a le secret, mais plutôt parce que je vois dans son geste comme une ultime marque d'élégance : apparue d'on ne sait où, comme une étoile filante, Corine F. est repartie comme elle était venue. Avec humour, sans un bruit, et… sans un mot de trop.
...........................................................(photo Rh.P.)
Alors, qu'est devenue Corine F. ? Si elle s'est beaucoup livrée sur son blog, on en sait finalement peu, sur elle. Elle travaillait dans le milieu médical, elle l'a suffisamment dit. Mais était-elle infirmière, médecin, visiteuse d'hôpital ? Et surtout : l'est-elle toujours ? Nul ne le sait. Entre autres, me revient ce billet où elle évoquait cette file de malades patientant devant sa porte, et dont elle décrivait chaque membre avec tact et humanité. Ce billet, le premier d'elle qu'il me fut donné de lire, j'ai passé des heures à en contempler le souffle ; aujourd'hui, je peux bien l'avouer, Corine F. est celle qui m'a donné envie d'ouvrir mon blog. Et même si mes phrases sont poussière à côté des siennes, c'est à elle que je dois d'avoir posé des mots sur mes peurs les plus profondes (bon, et mes phobies les plus risibles aussi, il est vrai).
..........................................(photo Anideg)
Oui, qu'est devenue Corine F. ? A-t-elle ouvert un autre blog, ou s'est-elle enfin lancée dans l'écriture de ce roman que nous étions nombreuses à lui réclamer ? L'hôpital, ce condensé d'humanité dont elle était la plus fidèle interprète, la plus émouvante aussi, l'a-t-elle arrachée à la blogosphère, réclamant son talent là où il était sans doute le plus utile, et certainement le plus nécessaire ? Je ne le sais pas ; ce que je sais par contre, c'est que, contrairement à ce que certaines langues de vipères ont prétendu, nous n'étions pas intimes, elle et moi. Un jour, je m'étais contentée de lui envoyer un mail, pour la remercier de l'extraordinaire billet qu'elle avait consacré à John Mitchell-Taylor, ce jeune danseur Noir condamné à mort par erreur et exécuté au Texas l'an dernier. Un billet, là aussi, qui m'avait touchée jusqu'aux larmes…
...................................................(photo Joël Zobel)
Où es-tu, Corine F. ? Accèdes-tu encore à Internet, de temps à autre ? T'égares-tu quelquefois sur tes anciennes pages ? Te vient-il parfois l'idée d'une nouvelle note, drôle et spontanée, intelligente et éclairée, que tu pourrais publier ? Sais-tu que, dans ce concert de hauts cris qui voit certaines de tes anciennes lectrices outrées se servir de leur blog de l'exacte façon dont, naguère, les dames de la bourgeoisie faisaient la charité, ta voix me manque ? Ta voix si douce et si ferme, ta voix si personnelle, si rebelle et féconde. Sais-tu aussi que, pour ma part (mais ce n'est là que l'interprétation toute personnelle que je donne à ton absence), je t'imagine parfois te lever, fière et droite, et marcher, calme et apaisée, vers le destin qui est le tien ? N'empêche. Où que tu sois aujourd'hui, et pour ce que tu as offert au monde des blogs, et ce que tu m'as apporté, au revoir, Corine F.… Au revoir et merci.
.................................................(photo Ali Baba)